«Monsieur le Président, vous n’avez pas honte ?»

Le président de SOS Racisme dénonce le cynisme de François Hollande, qui utiliserait cette mesure pour se faire réélire en 2017

Monsieur le Président, au lendemain des attentats du 13 Novembre, vous faisiez une annonce stupéfiante devant le Congrès : vous proposiez une mesure venue de l’extrême droite, celle d’inscrire dans la Constitution l’extension des cas ouvrant la voie à la déchéance de la nationalité. Quelques semaines plus tard, la raison, la morale et les rapports de force politiques semblaient devoir conduire à l’abandon de cette mesure.

Finalement, contre l’idéal républicain, contre votre parti et contre votre parcours, vous avez décidé de faire figurer cette annonce indigne dans un projet de loi portant réforme de la Constitution. «Vous n’avez pas honte ?» serais-je tenté de vous demander, alors que vous venez d’offrir le troisième tour des élections régionales au FN. Question à vrai dire inutile, puisque la réponse est à l’évidence négative. Je me contenterai donc de mettre en exergue le cynisme de votre comportement, cynisme qui vous situe bien loin de la demande de rénovation des pratiques politiques qui s’est exprimée à l’occasion des élections régionales. J’insisterai d’emblée sur un point : dans cette histoire, vous avez suscité une demande de régression, que vous chevauchez aujourd’hui, sondages à l’appui.

Bref, vous ne répondez pas à une demande qui émerge du corps social. Vous configurez celui-ci de façon à lui faire exprimer une demande qui ne préexistait qu’à l’état marginal avant que vous ne la fassiez vôtre, avec toute l’autorité et la solennité de la parole présidentielle. C’est ce que fit la droite sarkozyste au pouvoir en 2007 en proposant d’instaurer des tests ADN afin de jeter la suspicion sur le regroupement familial. C’est ce que fit Nicolas Sarkozy en plein été 2010, lorsqu’il proposa dans son funeste discours de Grenoble d’étendre la déchéance de nationalité aux binationaux. C’est ce que fit, à la même occasion, Sarkozy lorsqu’il transforma la question Rom en abcès de fixation, alors que jusqu’à ces mots présidentiels, tout le monde s’en fichait. Le cynisme se lit également dans cette manipulation des peurs et des arguments que vous laissez le soin à d’autres d’entreprendre dans le débat public.

La déchéance de nationalité protégerait les Français par son effet dissuasif ? Non, puisque nul ne peut ignorer que les terroristes jihadistes capables de se faire exploser n’ont cure de leur nationalité, qu’elle soit française ou autre. La mesure existe déjà et il ne serait donc pas grave de l’étendre ? C’est pourtant un argument que vous contestiez vous-même en 2010, aux côtés de SOS Racisme, considérant qu’elle accréditait l’idée selon laquelle il existerait deux catégories de Français : ceux de souche et ceux de papier. Refuser cette réforme serait faire preuve de tendresse, de naïveté ou de complicité envers les terroristes ? Cet argument me fait penser à ceux utilisés sur le rétablissement de la peine de mort pour les assassins d’enfants et de policiers. Des terroristes qui auraient une autre nationalité et ne méritant plus de rester français pourraient être expulsés vers le pays de cette autre nationalité qu’ils auraient choisie ? Ce serait tromper les Français sur deux points. D’abord, beaucoup de binationaux ne le sont pas par choix mais en vertu d’une décision de leurs parents ou en raison de lois liées au pays de naissance de ces derniers (un enfant né d’un père marocain est ainsi nécessairement considéré comme marocain par le Maroc).

Par ailleurs, si la France se débarrassait de ses terroristes vers le Maghreb ou l’Afrique subsaharienne, accepterions-nous, par parallélisme des formes, d’accueillir des terroristes déchus de leur nationalité – par exemple malienne – et néanmoins français ? Si la réponse est non, cela ressemble furieusement à une attitude coloniale en vertu de laquelle nous nous arrogerions le droit unilatéral d’envoyer vers des pays déjà déstabilisés par le terrorisme des personnes qui rêvent d’y commettre à nouveau des attentats. Si la réponse est oui, on se demande bien ce que nous aurions gagné en termes de sécurité à un échange de terroristes.

Il fallait, nous dit-on aussi, maintenir cette mesure afin de «respecter la parole présidentielle» prononcée devant le Congrès. Mais votre parole n’est pas infaillible et l’argument eut été plus convaincant si cette parole avait été respectée sur le droit de vote des étrangers, sur la lutte contre les contrôles au faciès, sur la mise en place d’une politique antidiscrimination ou sur la priorité donnée à la jeunesse. Ce non-respect de la parole présidentielle sur les sujets ayant trait à l’antiracisme me permet d’évoquer une autre facette de ce cynisme.

Depuis 2012, votre bilan en matière d’antiracisme est désespérément vide, en dehors de quelques discours épars, anecdotiques et circonstanciels qui ne peuvent masquer le silence et l’inaction que vous avez choisi d’appliquer à ce champ de l’action publique. Et donc, non content de ne pas avoir fait progresser l’égalité dans notre pays, voici que vous enclenchez à la fin de votre mandat une dynamique opposée. Car, pour l’avoir vous-même déjà exprimé, vous ne pouvez ignorer deux conséquences de l’acte que vous avez posé. Premièrement, vous ouvrez la voie à une extension sans fin des cas pouvant conduire à la déchéance de la nationalité. Deuxièmement, vous livrez en pâture, à travers le sujet des binationaux, les personnes d’origine immigrée à la vindicte réactionnaire contre laquelle la grande majorité de vos électeurs attendaient que vous vous éleviez.

L’année 2015 et son lot d’attentats ont durement éprouvé la cohésion nationale. C’était l’objectif essentiel des jihadistes. Les personnes d’origine étrangère et de culture musulmane ont été profondément déstabilisées par ces équipées sanglantes, d’autant qu’elles se déroulèrent dans un pays où la parole raciste s’est libérée et où le thème de la «remigration», c’est-à-dire l’expulsion massive des étrangers et de leurs enfants, crée des inquiétudes souvent indicibles sur la réversibilité de la nationalité française. Cette déstabilisation a néanmoins été exprimée à maintes reprises. Je ne parle pas ici des expressions perverses qui ont pu fleurir sous l’impulsion de personnages tels que Tariq Ramadan.

Je parle de cette cohorte d’attitudes singulières, issues de personnes qui n’osaient pas se rendre aux manifestations de janvier par peur des regards qui se porteraient sur elles ou qui, au lendemain du 13 Novembre, accablées de honte, baissaient la tête dans le métro afin d’échapper à des regards de désapprobation. Ces personnes attendaient que Marianne les embrasse sur le front. C’est une gifle qu’elles reçoivent de votre part. Et tout ça pour quoi ? Là est l’ultime cynisme de votre annonce. Cette modification de la Constitution dans un sens régressif et stigmatisant poursuit un seul but : votre réélection en 2017. C’est par calcul électoral qu’il vous a semblé judicieux de poser cette équation : je perdrai des voix sur ma gauche mais, en étouffant Sarkozy, j’en gagnerai tellement à droite que le bilan sera globalement positif. Autant le dire tout net : votre destin personnel importe bien moins que la vivacité des valeurs républicaines, protégées par une Constitution qui ne saurait souffrir de manipulations opérées à des fins privées.

 

Par Dominique SOPOlarrybird-2
Président de SOS Racisme

Tribune publiée le 27 décembre 2015 dans Libération

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