Régionales : inutile d’ajouter le déshonneur à la défaite

Les résultats du 1er tour des élections régionales sonnent comme la manifestation d'une terrible crise politique dans notre pays. Les scores importants du Front national laissent entrevoir, si rien n'était fait, que ce parti dont la matrice reste la haine de l'autre et le rejet des valeurs de la démocratie puisse être appelé à diriger plusieurs régions.

La dynamique que cela permettrait dans la perspective des élections présidentielles de 2017 ne doit pas être négligée.

C’est pourquoi, les principales listes -LR et PS- doivent se résoudre, là où cela est nécessaire, de se retirer au profit de la liste en mesure de faire barrage au Front national. La question se pose en la circonstance plus particulièrement au Parti Socialiste qui doit, malgré certaines prises de position de têtes de liste, retirer ses listes en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, en PACA et en Alsace-Champagne-Ardennes-Lorraine, comme l’a d’ores et déjà annoncé le premier secrétaire du Parti Socialiste pour ces deux premières régions, ce qu’il faut saluer. Il serait en effet inutile d’ajouter le déshonneur à la défaite. Laisser des régions au FN, c’est ouvrir un boulevard à ce parti de la haine pour les prochaines élections présidentielles et donc poursuivre la mise en danger de la démocratie et de ses valeurs.

Mais, au-delà de ces décisions tactiques inéluctables, le résultat de ces élections régionales doit également amener les partis républicains à se poser la question de leurs responsabilités.

Tout d’abord, le refus du pouvoir d’enclencher une réelle dynamique d’égalité et de revisiter le roman national n’a pas permis de profiter de la dynamique et des espoirs nés du vote de 2012. Ce refus a privé la gauche au pouvoir d’offrir les points d’appui à une offensive culturelle sans laquelle le Front national progresse inexorablement en se contentant de récolter le fruit des peurs nées des bouleversements liés à la mondialisation et des passions no éteintes liées à notre passé colonial.

Ensuite, la division irresponsable d’une gauche au comportement infantile produit cette situation paradoxale où, malgré une relative bonne tenue électorale, la gauche est en situation d’être balayée de plusieurs régions. La gauche doit cesser d’être divisée entre un pouvoir qui somme ses potentiels alliés plus à gauche de s’aligner sur un programme social-libéral tandis que ces derniers somment le pouvoir en place d’abjurer un amour pour le marché jugé trop immodéré. En temps normal, on qualifierait cette attitude de gamineries. Dans les circonstances actuelles, on pencherait plutôt pour le qualificatif de « suicide ».

Bien évidemment, la droite a une responsabilité historique extrêmement lourde dans la présente situation. Leur course effrénée vers le populisme a puissamment contribué à banaliser le discours et les propositions du Front national, dont on peine à se rappeler qu’ils étaient naguère tenus en lisière de la légitimité républicaine. Le mauvais génie de cette stratégie est Nicolas Sarkozy, qui a installé dans le pays une hystérie sécuritaire, une défiance vis-à-vis des musulmans (qui, en 2007, étaient réputés poser problème pour égorger les moutons dans leur baignoire), une montée de la folie identitaire avec le Ministère de l’Identité nationale et les nauséeux débats qui se tinrent jusque dans les préfectures et, last but not least, le discours de Grenoble qui stigmatisa les Roms et ouvrit la porte aux débats sur l’extension de la déchéance de nationalité.

Plus généralement, la classe politique pâtit de deux phénomènes. Une forme de mépris trop visible vis-à-vis de la société, trop souvent jugée dangereuse par un personnel versant de plus en plus souvent dans un apparatchisme aussi autosatisfait qu’inefficace, si ce n’est frappé du sceau d’une certaine incompétence. Mais également, en lien avec cet apparatchisme, un stupéfiant manque de renouvellement du personnel politique, renouvellement aujourd’hui (faussement) incarné par le Front national !

Mais le tableau ne serait pas complet si l’on n’évoquait pas le rôle des médias qui, depuis 2011, ont accompagné avec gourmandise la stratégie de dédiabolisation du Front national, vouant trop fréquemment les discours antiracistes aux gémonies, pour mieux s’épouvanter, à quelques heures de ce premier tour, d’une victoire du Front national dans telle ou telle région. Ce match FN vs Le reste du monde a été mis en scène par trop de médias qui y ont vu là une source de suspense ou une façon de dire tout haut via les propos du FN ce que maints de leurs dirigeants et journalistes pensaient tout bas, à savoir : « Quand même, les Arabes nous emmerdent, surtout depuis que mon fils s’est fait racketter et que le petit Mohamed, avec ses diplômes, peut prétendre rejoindre des postes de direction économique, politique ou médiatique. »

Mais, malgré tout ce tableau des responsabilités politiques et médiatiques, le vote est en premier lieu celui des électeurs, chez lesquels deux attitudes problématiques ont dominé : l’abstention et le vote Front national. Chacun est amené à s’interroger sur ses comportements. Quelques semaines après des attentats qui visaient à instiller des germes de guerre civile dans notre pays, est-il digne de s’enfermer dans un vote qui facilite ce cauchemar fou des ennemis de notre société ou dans une abstention qui permet la réalisation dudit cauchemar ?