Pétition: Monsieur le Président, ne créez pas des sous-catégories de citoyens !

Monsieur le Président de la République,

Comme chacun d’entre nous, vous avez été touché au plus profond de votre chair par les évènements tragiques du 13 novembre dernier. En tant que garant de nos institutions, vous êtes maintenant en quête de solutions pour réduire, autant qu’il est possible, le risque d’attentat dans notre pays. Pour ce faire, vous seriez manifestement prêt à proposer une loi permettant de déchoir de la nationalité française, les binationaux convaincus de terrorisme, y compris ceux nés Français.

Cette proposition, formulée de longue date par le Front national, nous parait dangereuse et nous attendons de vous que vous y renonciez. Car au-delà du fait que la déchéance de nationalité pour faits de terrorisme est déjà prévue dans le droit français pour les personnes binationales naturalisées depuis moins de 15 ans, de nombreux arguments nous poussent à nous élever contre cette annonce.

Tout d’abord, d’un point de vue pragmatique, permettez-nous de vous dire qu’une telle mesure ne dissuadera en aucun cas les terroristes de tenter de commettre des attentats sur notre sol. En effet, ceux-ci sont dans une logique nihiliste et ont parfaitement acquis que leurs projets, en cas de succès, se termineront dans le carnage et la mort. Risquer la déchéance de la nationalité n’est donc guère susceptible de les impressionner. De plus, comme le révèlent les investigations antiterroristes, les factieux peuvent aussi bien être français depuis plusieurs générations, que français de parents étrangers ou simplement étrangers. Le terrorisme n’est pas le monopole des Français binationaux nés sur notre sol.

Par ailleurs, la déchéance de nationalité étendue viserait donc à renvoyer davantage de monde de notre territoire. Concrètement, il s’agirait de renvoyer des gens vers le Maghreb ou le Mali, des zones qui ont déjà fort à faire avec les attaques menées par des organisations terroristes qui rêvent, de Tunis à Bamako, de ces renforts que nous leur apporterions.

Enfin, et il s’agit là de la conséquence la plus grave, vous valideriez, depuis le plus haut sommet de l’Etat, l’idée qu’il y aurait deux catégories de Français. Les binationaux nés français, qui sont « un peu moins français » et les Français qui n’ont qu’une nationalité et qui seraient « un peu plus français ». Il s’agit là d’une idée contraire à notre pacte républicain et aux valeurs les plus nobles constitutives depuis 1789 de notre identité commune. Ce sont précisément ces valeurs que Daech cherche à détruire et que nous devons plus que jamais préserver. A l’heure où de trop nombreux jeunes doutent de leur pleine appartenance à la société française, cette mesure, quand bien même elle ne les concerne pas, serait un signal vécu comme une défiance supplémentaire à leur endroit, là où il faudrait au contraire que la France montre pleinement qu’elle embrasse l’ensemble de ses enfants. La déstabilisation serait d’autant plus grave que chacun sait que vous ouvririez là un dangereux précédent. Car, une fois cette brèche ouverte, qui sait quels seront les critères qui pourront, demain ou après-demain, provoquer la déchéance de la nationalité ?

Installer l’idée que les Français ne sont pas tous égaux face à la loi, c’est donner du grain à moudre aux discours haineux des djihadistes ou de l’extrême-droite « traditionnelle » qui prétendent que la coexistence entre Français de différentes origines est impossible, c’est imprimer une marque indélébile sur nos concitoyens, nés en France, ayant vécu toute leur vie dans notre pays, mais ayant pour seul tort d’avoir un parent étranger. C’est en définitive tourner le dos à « l’âme de la France [qui] est l’égalité » comme vous l’affirmiez au Bourget, le 22 janvier 2012.

« Le terrorisme ne détruira pas la République, car c’est la République qui le détruira » avez-vous proclamé avec force lors de votre adresse aux parlementaires à Versailles.

M. le Président, mettez vos actes en adéquation avec vos propos en renonçant à cette mesure qui n’a pas sa place dans la patrie qui offrit la Grande Révolution à ses citoyens et au monde.


Premiers signataires:

SOS Racisme, LDH [Ligue des Droits de l’Homme], FTDA [France Terre d’Asile], MRAP [Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples], UEJF [Union des étudiants juifs de France], CGT [Confédération générale du travail], SNES-FSU [Syndicat national des enseignements de second degré], FIDL [Fédération Indépendante et Démocratique Lycéenne], UNEF [Union nationale des étudiants], FAGE [Fédération des Associations Générales Etudiantes], UNL [Union Nationale Lycéenne], CRAN [ Conseil Représentatif des Associations Noires de France], Boulevard des Potes, NPNS [Ni putes ni soumises], CIDFF [Centre d’information sur les droits des femmes et des familles], FTCR [Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives], BDM [Banlieue du Monde], Collectif des femmes Tunisiennes, Grad Guinée, APAVDE AFRICA [Agir pour une Afrique en voie d’émergence], KOCOON, LAG [Les amis de Guinée], ATF [Association des Tunisiens en France], ATF-75 (Paris), Espace Farabi (Paris), IDEAL-92 (Antony-92), ATF-Var (Toulon), IDEAL (Toulon), AST (Toulon), ATF-Nord (Roubaix), ATF-Charente, ATF-13 (Marseille), PMS (Montpellier), L’Afrique a du talent, ATF-Aquitaine (Bordeaux), ALIF’S (Bordeaux) [Association du lien interculturel familial et social], ATF-Haute Garonne (Toulouse), Solidarité Jasmin Aix en Provence-Marseille (Aix en Provence), ATF-Haute Savoie (Annecy), ASTI [Association de Solidarité avec Tous les Immigrés], Resf 91 [Réseau éducation sans frontières], Groupe de 5 humanistes (94), FLAM [Forces de Libération Africaines de Mauritanie]

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