2 janvier 1897 : naissance de Gaston Monnerville, futur Président du Sénat

Gaston Monnerville est né à Cayenne, en Guyane, le 2 janvier 1897. Petit-fils d'esclave, sa famille est originaire de Martinique. Après des études brillantes à Cayenne, Gaston Monnerville poursuit ses études secondaires au lycée Pierre de Fermat à Toulouse. Il poursuit ses études à l’Université de Toulouse, où il décroche des licences en droit et en lettres puis un doctorat en droit en 1921

L’élève brillant, l’avocat remarqué

Inscrit au barreau de Toulouse dès 1918, il poursuit sa carrière d’avocat au barreau de Paris à partir de 1921. Il devient par la suite secrétaire de la Conférence des avocats et président de l’Union des Jeunes Avocats de Paris.

En 1931, sa plaidoirie dans l’affaire Galmot contribue à l’acquittement des 14 Guyanais inculpés suite aux émeutes de 1928 provoquées par une affaire de fraude électorale. Remarqué, il lui est alors proposé de se présenter à la députation en Guyane. En 1932, il bat le député sortant. Devenu député de Guyane sous l’étiquette du Parti Radical (il sera réélu en 1936), il entame sa carrière politique, qui s’enrichira bientôt d’un nouveau mandat. En effet, en 1935, il est élu maire de Cayenne, poste qu’il occupera jusqu’à sa défaite en 1945.

Du Gouvernement à la Résistance

Monnerville FFIEn 1937 et 1938, il est sous-secrétaire d’Etat aux colonies dans le gouvernement de Camille Chautemps. Et ceci au grand dam de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste, qui y voient l’inconséquence d’une France incapable de reconnaître la hiérarchie des races.

Suite à la déclaration de guerre entre la France et l’Allemagne le 1er septembre 1939, il n’est pas mobilisable du fait de son statut de député. Mais il décide à l’instar de quelques autres parlementaires de se faire engagé volontaire. Il servira comme «officier de justice» sur le cuirassé Provence, finalement détruit à Mers-El-Kébir le 3 juillet lorsque la marine britannique coulera la flotte française qui s’y était réfugiée et qui refusait de rejoindre la Grande-Bretagne dans le combat contre l’Allemagne nazie.

Démobilisé le 17 juillet 1940, Monnerville ne peut participer à la séance parlementaire du 10 juillet qui accorda les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Quelques mois plus tard, il fait partie d’une délégation de parlementaires qui se rend auprès de Pétain pour protester contre les lois discriminatoires qui commencent alors à toucher «les Juifs, les Arabes et les hommes de couleur». Il rejoint à Marseille son protecteur en politique, César Campinchi, député radical de Corse qui occupa les fonctions de ministres de la Marine et de la Justice entre 1937 et l’arrivée de Pétain au pouvoir. Tout comme Monnerville, Campinchi pense qu’il faut continuer le combat à partir de l’Afrique du Nord. C’est pour cette raison qu’il s’embarqua avec d’autres parlementaires sur le Massilia, ce qui lui vaudra d’être déchu de son mandat de député par le pouvoir vichyste, quelques temps avant de décéder.

Monnerville défend en tant qu’avocat les personnes qui sont inquiétées par Vichy du fait de leurs opinions politiques ou de leur origine raciale. Cela lui vaudra d’être arrêté à plusieurs reprises pendant ces années. Puis Monnerville rejoint la Résistance en adhérant au groupe Combat d’obédience gaulliste. Lorsque la zone libre est envahie par l’Allemagne en novembre 1942 (le débarquement des Alliés en Afrique du Nord fait craindre un débarquement dans le Sud de la France), Monnerville décide de rejoindre avec sa femme le maquis d’Auvergne, sous le pseudonyme de «commandant Saint-Just» (en hommage à son oncle Saint-Just Orville, maire de Case-Pilote en Martinique). Il y sera un agent de liaisons entre plusieurs maquis. Il est démobilisé de la résistance en septembre 1944, alors que la France est déjà en grande partie libérée.

Un noir au plus haut niveau

Echouant en 1945 à retrouver son poste de maire de Cayenne, Gaston Monnerville n’en est pas moins élu membre de l’Assemblée Constituante fin 1945. En mars 1946, les « quatre vieilles colonies » françaises d’Outre-Mer deviennent, notamment sous l’impulsion de Monnerville, des départements français. Après que les Français ont, en mai 1946, rejeté par référendum le projet de Constitution présenté par l’Assemblée Constituante, une deuxième Assemblée Constituante est élue dans la foulée. Monnerville en est membre à nouveau. Le nouveau projet de Constitution ne prévoit plus une seule chambre parlementaire comme lors du premier projet, mais deux chambres : une Assemblée nationale élue au suffrage universel direct et un Conseil de la République (équivalent du Sénat) élu au suffrage indirect. Cette fois-ci, les Français approuvent ce nouveau projet en octobre 1946. La Quatrième République est née. Monnerville est cependant battu en Guyane aux élections législatives qui suivent. Mais, quelques semaines plus tard, il est élu au Conseil de la République dont il devient le président en mars 1947. Il sera constamment réélu à ce poste pendant toute la Quatrième République (entant que sénateur du Lot à partir de 1948).

Vème République : présidence du Sénat et critique du Général de Gaulle

En 1958, Gaston Monnerville se montre plutôt favorable au retour du général de Gaulle, à qui, en tant que président d’une des deux chambres parlementaires, il rend visite afin d’étudier les conditions de la prise du pouvoir. La Vème République est bientôt fondée avec à la tête de l’exécutif le général De Gaulle. Dans cette nouvelle République, Gaston Monnerville devient le président du Sénat. Le Sénat, en plus de retrouver son nom initial, n’est pas simplement une resucée du Conseil de la République. En effet, les pouvoirs du Sénat sont restaurés puisqu’il redevient une vraie chambre législative, là où le Conseil de la République ne pouvait émettre que des avis. En outre, en cas d’empêchement ou de décès du Chef de l’Etat, c’est le président du Sénat, donc Gaston Monnerville, qui sera amené à assurer l’intérim.

Mais Monnerville va très vite entrer en tensions avec le pouvoir gaulliste. Les désillusions sont, il est vrai, nombreuses. Monnerville, parlementariste convaincu, constate notamment que la Constitution donne, à l’épreuve de sa pratique, un poids écrasant à l’exécutif, au détriment des chambres parlementaires. Refusant, comme une grande partie de la classe politique française, le renforcement de cette évolution, il s’oppose violemment en 1962 à la volonté du pouvoir de faire élire le président de la République au suffrage universel. Il parle même de « forfaiture » à l’endroit du Premier ministre Georges Pompidou car il estime que le référendum proposé est anticonstitutionnel. Sous la présidence de Monnerville, le Sénat, bien que marginalisé par les institutions de la Vème République, restera un foyer rétif au pouvoir gaulliste. Ayant renoncé à la présidence du Sénat en 1968, Monnerville s’engage dans le « non » au référendum proposé par De Gaulle sur le rôle et la composition du Sénat. La victoire du « non » en avril 1969 pousse le général De Gaulle à la démission. C’est donc le successeur de Monnerville à la présidence du Sénat, Alain Poher, qui assure l’intérim. Ce qui fait dire à beaucoup qu’à quelques mois près, la France aurait pu connaître son premier chef d’Etat noir.

Le Conseil constitutionnel et les dernières années

Gaston Monnerville abandonne progressivement tous ses mandats politiques. En 1970, après 6 ans, de mandature, il quitte son poste de maire de Saint-Céré dans le Lot, département dont il abandonne la présidence du département qu’il assura entre 1951 et 1971. Ayant abandonné son poste de sénateur en 1974, Gaston Monnerville est immédiatement nommé au Conseil constitutionnel (qu’il n’avait pourtant pas manqué d’ailleurs de critiquer en 1962 !).

A partir de 1983, ayant retrouvé une liberté de parole que ses fonctions au Conseil constitutionnel lui interdisaient par devoir de réserve, Gaston Monnerville participera à des conférences sur les institutions et à des émissions orientées sur ses souvenirs.

Gaston Monnerville, un des plus brillants orateurs de la République et l’homme noir qui y a occupé les plus hautes fonctions, s’éteint des suites d’un cancer le 7 novembre 1991, à Paris.

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