Un autre 8 mai 1945 : il y a 75 ans se déroulaient les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata

Le 8 mai 1945 fut pour la France et les alliés un jour de joie. Une joie certes ternie par les cadavres, les blessures, les destructions, le souvenir des trahisons et des compromissions. Mais la joie des armes qui se taisent, de la liberté recouvrée, des « jours heureux » que l’on peut à nouveau espérer.

Le même jour en Algérie, à 1500 km de Paris, ce sont les scènes d’une violence coloniale qui vont commencer. Dans le pays, la situation est tendue. Balayée en quelques semaines par la Wehrmacht en 1940 et ayant subi une humiliante occupation, la France a perdu de sa superbe aux yeux des territoires de son empire colonial. Deux ans plus tôt, elle a déjà dû concéder l’indépendance au Liban tandis qu’elle ne retrouvera jamais le plein contrôle de l’Indochine qu’en 1954 elle finira par perdre à Dien Bien Phu.

En Algérie, l’agitation nationaliste est déjà enracinée. Les Oulémas de Ben Badis dès le début du siècle, Fehrat Abbas et Messali Hadj dès la fin des années 1920 réclament, selon des modalités différentes, la mise à bas de l’ordre colonial. Alors que la France et l’Europe célèbrent la liberté retrouvée et que les Nations Unies posent le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’espoir est permis chez les nationalistes algériens. Et s’il était temps d’avancer sur le chemin de l’indépendance ?

C’est dans ce contexte que, le 8 mai, vont se dérouler en Algérie les manifestations de célébration de la victoire. Les défilés nationalistes du 1er mai, qui réclamaient la libération de Messali Hadj, ont déjà occasionné des morts à Alger et à Oran parmi les manifestants.

Le 8 mai, les défilés organisés par les nationalistes sont autorisés s’il n’y a pas de slogans politiques et si le drapeau algérien n’est pas brandi. A Sétif, un homme sort un drapeau algérien. Le commissaire cherche à s’en emparer. Il est renversé. La confusion règne. Le drapeau, à terre, est ramassé par Bouzid Saâl, un scout de 26 ans, aussitôt abattu par la police.

Les instants qui suivent, la police tire sur la foule, qui s’enfuit et dont une partie se livre à des actes de vengeance contre les Européens. Dans la journée, des faits similaires se déroulent à Guelma et à Kherrata. Quelques Algériens sont tués par la police, des Européens subissent des vengeances dans les villes concernées et, dans les heures et jours qui suivent, des Européens vivant dans des fermes isolées sont massacrés. Au total, 102 Européens sont tués.

La peur est telle – l’essentiel des hommes européens en âge de se battre sont encore sous les drapeaux – que des milices se forment chez les Européens. Bientôt, l’armée envoie des renforts. Milices et armées marchent main dans la main pour réprimer avec férocité les populations civiles, dans une logique de punition collective que le racisme légitime d’autant plus. Exécutions sommaires, « procès » populaires expéditifs, bombardements des villages depuis des avions ou depuis les bateaux qui croisent au loin… Couverte par les représentants de l’Etat sur place, la répression est sanglante et aveugle. A Kherrata, des personnes sont jetées dans les profondes gorges de cet endroit.

Combien y eut-il de morts durant ces semaines d’une répression qui se déroula jusqu’à la fin du mois de juin ? La seule « certitude » semble qu’ils furent entre 3.000 et 30.000. Coupables de quoi ? D’être des indigènes, des musulmans, des Algériens et donc priés de rester à la place du colonisé que la France pensait pouvoir continuer à leur imposer, en violation flagrante des principes que, le 8 mai 1945, elle prétendait restaurer de l’autre côté de la Méditerranée : la liberté, l’égalité et la fraternité.