Sharpeville, Afrique du Sud, le 21 mars 1960 : un massacre à l’origine de la journée internationale contre le racisme
L’Apartheid et les passeports intérieurs
Prolongeant de façon spectaculaire et figeant dans la loi le « Colour Bar » – un régime empirique organisant l’exclusion des noirs, des métis et des Indiens de la vie politique et citoyenne en vigueur dans cette Afrique du Sud dominée par une minorité blanche -, l’Apartheid est un système de ségrégation raciale appuyé, légalisé et promu par le Parti national suite à sa victoire électorale de 1948.
Les lois du régime de l’Apartheid séparent la population sud-africaine en quatre catégories : personnes blanches/européennes ; personnes autochtones/noires ; personnes de couleur ou métisses ; et personnes indiennes/asiatiques. La population blanche, représente 15 % de la population sud-africaine, est au sommet et détient pouvoir et richesses. La population sud-africaine noire, soit 80 % de la population du pays, est reléguée tout au bas de la hiérarchie, tandis que les populations métisses et indiennes se situent dans un entre-deux caractérisé par de très fortes discriminations à leur endroit. Les lois de l’Apartheid restreignent presque tous les aspects de la vie des personnes noires en Afrique du Sud ainsi que les contacts avec la population blanche. Dans le même esprit que la Ségrégation qui sévit dans le Sud des Etats-Unis, l’Apartheid organise la ségrégation dans l’habitat, les équipements publics, interdiction des relations sexuelles entre les Blancs et les autres, séparation raciale obligatoire dans les syndicats…
Certaines des lois les plus racistes sont celles qui imposent aux personnes noires d’Afrique du Sud de toujours avoir sur elles leur passeport intérieur. Le gouvernement utilise les lois sur les passeports intérieurs pour contrôler les déplacements des personnes noires, limitant les endroits où elles peuvent vivre et travailler.
Résistance à Sharpeville
En 1952, l’enjeu du passeport intérieur grandit encore du fait de la loi sur la relocalisation, qui permet de bannir les noirs (notamment) de leurs terres et quartiers d’habitation lorsque des zones sont déclarées « zones blanches ». Elles sont alors interdites aux noirs, aux métis et aux Indiens qui doivent les quitter et ne peuvent plus y venir (sauf comme personnels de maison, employés…). C’est d’ailleurs ces relocalisations qui entraineront la formation ou l’extension des townships, banlieues où s’entassent les noirs dans des conditions de vie souvent très précaires.
Le 18 mars 1960, le Congrès panafricain (PAC) de Robert Sobukwe, « concurrent » de l’ANC de Nelson Mandela, appelle à des manifestations non violentes dans tout le pays le 21 mars pour contester les « pass » (passeport intérieur) et les lois de l’Apartheid. Les manifestants sont appelés à se réunir devant les postes de police et à se porter volontaires à l’arrestation pour « non-port du pass ».
Le 21 mars, les militants du PAC décident d’organiser une manifestation pacifique dans le township de Sharpeville. Le plan consiste pour les manifestants et les manifestantes à marcher jusqu’au poste de police local sans leur passeport intérieur et à demander à être arrêtés.
Des milliers de personnes marchent vers le poste de police de Sharpeville. Elles se rassemblent dans un geste de défi pacifique, refusant de porter leur passeport intérieur. Elles entonnent des chansons de liberté et scandent « Non aux passeports intérieurs ! ». Simon Mkutau, qui a participé à la manifestation, se rappelle : « L’atmosphère était joviale ; les gens étaient joyeux, chantaient et dansaient ».
Mais plus le temps avance, plus il y a de policiers dépêchés en renfort sur place et épaulés par l’arrivée de 3 véhicules blindés. Des avions militaires commencent à survoler la foule afin de l’impressionner et de l’amener à se disperser. Puis, suite à un mouvement de foule, la police ouvre le feu sans avertissement sur la foule non armée.
Au total, 69 personnes sont tuées et plus de 180 sont blessées, surtout par des balles dans le dos en tentant de fuir la violence. Plus tard, un rapport révèle que plus de 700 balles ont été tirées, toutes par la police. Par la suite, certains témoins déclarent avoir vu les policiers placer des fusils et des couteaux dans la main des victimes mortes, pour faire croire qu’elles étaient armées et violentes pendant la manifestation.
Répercussions
Loin de Sharpeville toutefois, tant en Afrique du Sud qu’à l’extérieur du pays, de nombreuses personnes expriment leur indignation. L’événement déclenche une grève générale le 28 mars 1960 malgré les interdictions et mises en garde du gouvernement.
Pour protester contre le massacre, Albert Luthuli, président du Congrès national africain (ANC), brûle son propre passeport intérieur. Nelson Mandela et d’autres membres de l’ANC font de même en signe de solidarité. Peu après, le 30 mars, 30 000 personnes environ marchent vers Le Cap pour protester contre le massacre.
La réaction internationale au massacre ne se fait pas attendre et est unanime. Dans un monde entré depuis quelques années dans un processus massif de décolonisations, de nombreux pays condamnent cette atrocité. Le 1er avril, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte une résolution condamnant le massacre et demandant au gouvernement sud-africain d’abandonner sa politique d’Apartheid.
Bien qu’isolé sur la scène internationale, le gouvernement d’Afrique du Sud refuse d’abandonner ses politiques d’Apartheid et de discrimination raciale. Il commence par déclarer l’état d’urgence et emprisonne près de 2 000 personnes. Puis, le 8 avril 1960, il interdit l’ANC et le PAC. Il devient donc dorénavant illégal d’être membre de ces organisations. De nombreux membres de ces deux organisations décident d’entrer dans la clandestinité. C’est le cas de Nelson Mandela (qui sera arrêté en 1962 avant d’être envoyé pendant 28 ans en prison). Mandela et d’autres personnes ne croient plus qu’il soit possible de vaincre l’Apartheid de manière pacifique. L’ANC forme une aile armée (« La lance de la nation ») qui, agissant à partir de pays voisins récemment décolonisés, multipliera les attentats et les sabotages (sans jamais faire au demeurant de grands dégâts).
Un mois plus tard, l’Assemblée générale des Nations Unies déclare que l’Apartheid viole la Charte des Nations Unies et, sur un plan plus symbolique, Albert Luthuli, président de l’ANC, reçoit le prix Nobel de la Paix pour l’année 1960.
Six ans plus tard, en 1966, résultat direct du massacre de Sharpeville, l’ONU fait du 21 mars la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale (plus couramment appelée « Journée internationale contre le racisme »).