Nous musulmans laïques, nous ne comprenons pas le traitement qui nous est infligé par les médias. Nous croyons aux valeurs universelles qui nous ont été transmises par nos familles et par l’école : l’égalité, la liberté, la fraternité. Nous sommes des musulmans laïques et progressistes, ceux de la générosité et de l’ouverture au monde.
Au lieu de faire entendre nos voix qui condamnent l’islamisme, qui défendent le droit des femmes, qui approuvent le principe précieux de la laïcité, des journaux de gauche privilégient des organisations communautaristes comme le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). Cette fausse association antiraciste n’est qu’un groupe politico-religieux sectaire répercutant de plus ou moins loin les idées des Frères musulmans. Camouflé en promoteurs de «l’intersectionnalité des luttes», ce n’est en fait que le masque d’un communautarisme victimaire et agressif. Les médias donnent aussi la vedette au Parti des indigènes de la République (PIR), groupuscule identitaire dont l’animatrice, Houria Bouteldja, a publié un brûlot les Blancs, les Juifs et nous (1). Ils ouvrent micros et studios à des associations régressives comme Lallab, qui se présente comme féministe mais fait campagne pour l’abrogation de la loi de 2004, c’est-à-dire pour le voile islamiste à l’école, et invite comme modèles à suivre des femmes comme cette députée tunisienne du parti Ennahdha ayant œuvré pour que la Constitution déclare la femme «complémentaire» de l’homme, ce qui revient à lui assigner un rôle second. La réforme a été rejetée grâce aux vraies féministes tunisiennes, dont Lallab ne parle jamais.
Au premier rang des connivences avec ces militants, on trouve des journalistes aveuglés par leurs «bons sentiments» : il y a des «alliés» dont on se passerait bien, tant leurs remèdes surpassent les maux contre lesquels ils sont censés lutter. Naïvement ? Très consciemment? Ce type de journalisme épouse la stratégie de l’islam politique jusqu’à en devenir pièce maîtresse pour son enracinement en France. Depuis des années, ils façonnent une jeune génération de journalistes désormais persuadés que toute critique de l’islam ou mise en cause des extrémistes de notre religion sont des attaques racistes contre tous les musulmans. Dans l’islam que nous pratiquons, la critique est libre et le débat démocratique essentiel. Notre religion nous est intime : nous n’avons rien à faire des organisations qui militent pour que ce soit l’islam qui gère nos vies d’arabo-berbères et de banlieusards en France. Nous sommes citoyens de la République. Nous refusons de nous laisser embrigader par ces journalistes dans des visions obscurantistes de nos cultures et religion.
Il y a là une confusion des catégories politiques. Le CCIF a évidemment le droit de s’exprimer. Mais on ne doit pas se tromper sur ses idées religieuses et politiques. Sur un arc droite-gauche, l’intégrisme des Frères musulmans se situe à l’extrême droite. Il fait pendant à Sens commun, voire à la Fraternité Saint-Pie-X de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Même dogmatisme religieux, même obsession des rituels autoritaires et même antiféminisme camouflé. Nous enfermer dans cet islam-là, c’est creuser nos tombes. Car, comme à chaque fois que les islamistes règnent sur un mètre carré de la surface du monde, ce sont nos libertés et notre pluralisme qui sont anéantis.
On veut que les musulmans rallient des faux porte-parole, sous le prétexte qu’ils sont de la même religion. Auriez-vous eu idée d’exiger des Bretons de voter FN sous prétexte que Jean-Marie Le Pen est né à La Trinité-sur-Mer ? Car c’est bien ce cheminement identitaire idiot qui nous est demandé. Suivre des islamistes érigés en représentants des musulmans de France, comme les Le Pen se présentent en seuls défenseurs de l’identité française.
Mieux : on en vient à considérer que des musulmans qui combattent l’islam politique seraient des «faux musulmans» qui font le jeu des racistes. On abuse d’un procédé oblique consistant à mettre sur le même plan nos critiques légitimes de l’islamisme et la fachosphère qui accable les musulmans en général. L’aide de ces journalistes, parfois sincères n’en doutons pas, permet à des organisations fascisantes au visage présentable de faire taire l’antiracisme et le féminisme, tout en s’en réclamant à l’occasion.
Ce sont les mêmes activistes qui tentent de redéfinir l’antiracisme et le féminisme sur une base racialiste, les mêmes qui interdisent aux «Blancs» l’accès à leurs réunions, dans un séparatisme qu’on jugerait insupportable s’il émanait de n’importe quelle autre organisation. Ils brandissent ce concept idiot de «féminisme blanc». Devrions-nous exclure de nos références Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi, Simone Veil, parce que trop blanches ? Scandaleuses foutaises !
Mon parcours est jalonné de luttes antiracistes et pour l’émancipation des jeunes générations, de luttes sans concession contre l’extrême droite. Il m’oblige à prévenir ceux qui se fourvoient en toute sincérité qu’ils commettent une terrible erreur devant l’Histoire. Ce n’est pas combattre l’extrême droite que de favoriser les intégristes musulmans, ni lutter contre l’intolérance que de revendiquer l’abrogation des lois qui proscrivent les signes religieux à l’école, qui interdisent de circuler le visage caché sur la voie publique. Ce sont des lois républicaines qui protègent. La moindre des compétences que l’on est en droit d’attendre d’un journaliste travaillant sur les questions de racisme, de religion et de vivre-ensemble, c’est de savoir reconnaître l’extrême droite, quel qu’en soit le visage. N’essayez pas de faire passer l’islamisme pour une force de progrès, vous vous livreriez à un jeu mortifère. Pour nous, musulmans laïques, il ne s’agit pas d’un jeu. Il s’agit de nos vies et de nos libertés.
(1) Editions La Fabrique, 2016.