21 Février 1944 : l’occupant nazi fusille 23 membres du groupe Manouchian

Ils étaient polonais, italiens, hongrois, espagnols ou arméniens. Juifs, pour certains. Patronymes à couper au couteau. « À prononcer vos noms sont difficiles », écrira Louis Aragon. Ils n’avaient pas trente ans mais ils étaient prêts à donner leur jeunesse pour une cause qui les dépassait. Leurs actions retentirent dans toute l’Île-de-France : grenades lancées sur un car de la marine de guerre allemande, attaque d’une caserne et du siège central du parti fasciste italien, exécution du général Von Apt et du colonel SS Julius Ritter… On doit leur arrestation, en novembre 1943, ainsi que le démantèlement de leur réseau aux enquêtes zélées de la police française.

Ils étaient 23 quand les fusils fleurirent

23 qui donnaient leur cœur avant le temps

23 étrangers et nos frères pourtant

23 amoureux de vivre à en mourir

23 qui criaient LA FRANCE en s’abattant

L’affiche rouge, Aragon.

 

 

Allemands et régime de Vichy unis pour traquer les résistants…

Après que la France soit passée sous le contrôle du 3ème Reich, le gouvernement collaborationniste de Vichy et les allemands travaillent main dans la main. Malgré tout, soutenus par les anglais et les américains, les groupes de résistance se développent de plus en plus. Parmi cette nébuleuse héroïque, les Francs-Tireurs Partisans – Main-d’Oeuvre Immigrée (FTP-MOI) quatre détachements, composés majoritairement de Juifs, Anciens des brigades internationales, aguerris à la lutte armée, ces militants, mènent une guerre offensive contre l’occupant. Cet activisme entraîne une vive répression.

Courant 1943, les allemands aidés du régime de Vichy réussissent à démanteler des réseaux de résistants entiers. Le 16 Novembre 1943, c’est au tour des FTP-MOI. 68 d’entre eux sont arrêtés. Parmi eux, Joseph Epstein et Missak Manouchian, deux leaders du mouvement. Après trois mois d’incarcération et de tortures quotidiennes, ils comparaissent devant la justice du 15 au 18 Février 1944. Vous connaissez la suite…

 

L’affiche rouge : quand l’occupant nazi cherche à discréditer la résistance.

afficherouge-3Nazis et vichystes souffrent d’une baisse de popularité en France. Ils décident donc de recourir à une arme classique : la propagande. Immédiatement après ce crime immonde, ils placardent les murs de France avec une affiche rouge vif encadrée par le slogan « Des libérateurs ? La libération ! Par l’armée du crime ».

Au centre, les photos des 23 fusillés, le visage menaçant, présentés par leur pays d’origine et accusés d’attentat. En comparant ces libérateurs à des ramassis de tueurs, ils espèrent utiliser la peur et la haine de la population pour la rallier à leur cause, le nazisme.

Très rapidement on voit fleurir des fleurs sous ces affiches honteuses ou apparaître des bandeaux où l’on pouvait lire : “Des martyrs”, ou “Oui ! L’armée de la Résistance”. Les mains de l’ombre prennent leur revanche ? Quoi qu’il en soit, cette affiche n’atteint pas son but. Si elle aviva la haine, c’est envers les bourreaux et non les victimes que cette dernière se dirigea.

 

Au milieu de ces jours noirs de notre histoire, un poète remarquable : Missak Manouchian

Extrait de la dernière lettre écrite par Missak Manouchian, adressée à sa femme :

« Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous… »

Est-il réellement nécessaire de commenter cette lettre ? Pleine de poésie, elle illustre la grandeur d’un homme qui pardonne à l’ennemi alors qu’il sort de plusieurs mois de torture, qu’ils est sur le point de se faire fusiller et que les nazis le privent à jamais du bonheur d’une femme qu’il aime.

Manouchian est un poète arménien qui a fui l’Empire Ottoman dans les années 20, après avoir survécu au génocide arménien. Il devient ouvrier à Paris et écris de nombrés poèmes, publiés dans l’ouvrage posthume La Chanson de ma vie. En 1934, il devient militant communiste puis forme un réseau de résistance actif sous l’occupation nazi composé d’étrangers, la plupart de confession juive.

Le 21 Février, cette lumière humaniste s’est éteinte. Aujourd’hui, c’est à nous de poursuivre les combats qu’il a mené contre le fascisme et le totalitarisme.

Robert Guédiguian, rendit un hommage poignant à ces hommes en réalisant en 2010 L’Armée du crime.

 


 

Ma Chère Mélinée

Ma chère Méline, ma petite orpheline bien aimée.

Dans quelques heures je ne serai plus de ce monde. On va être fusillé cet après midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, j’y ne crois pas, mais pourtant, je sais que je ne te verrai plus jamais.

Que puis-je t’écrire, tout est confus en moi et bien claire en même temps. Je m’étais engagé dans l’armée de la Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et de but. Bonheur ! à ceux qui vont nous survivre et goutter la douceur de la liberté et de la Paix de demain. J’en suis sûre que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit. Chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple Allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur ! à tous ! — J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendu heureuse. J’aurais bien voulu avoir un enfant de toi comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre sans faute et avoir un enfant pour mon honneur et pour accomplir ma dernière volonté.

Marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je lègue à toi et à ta sœur et pour mes neveux. Après la guerre tu pourra faire valoir ton droit de pension de guerre en temps que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’Armée française de la Libération. Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écris qui valent d’être lus. Tu apportera mes souvenirs si possibles, à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades toute à l’heure avec courage et sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fais mal à personne et si je l’ai fais, je l’ai fais sans haine.

Aujourd’hui il y a du soleil. C’est en regardant au soleil et à la belle nature que j’ai tant aimé que je dirai Adieu ! à la vie et à vous tous ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal où qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous à trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendu. Je t’embrasse bien bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaisse de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur.

Adieu.

Ton ami Ton camarade Ton mari Manouchian Michel (djanigt).

P.S. J’ai quinze mille francs dans la valise de la Rue de Plaisance. Si tu peux les prendre rends mes dettes et donne le reste à Armène. M.M.

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