Les « Je ne suis pas Charlie! » savent-ils qui ils sont ?
Tribune de Mohamed Sifaoui publiée dans le Huffington Post, Mohamed Sifaoui est journaliste, écrivain et réalisateur
Le « Je ne suis pas Charlie » a un sens. Et pour le saisir, il faudrait cerner la définition exacte de son expression antinomique « je suis Charlie ».
Nul besoin de convoquer une logique aristotélicienne pour comprendre ce qui est de l’ordre du civisme, de la décence, de la démocratie et enfin de l’humanité ; Nul besoin de sortir de Saint-Cyr pour capter le sens réel de « Je suis Charlie ».
De prime abord, balayons une idée reçue largement défendue par des esprits étriqués et par des derviches tourneurs de la rhétorique pro-islamiste. Qu’on se le dise, le « Je suis Charlie » n’a jamais été synonyme d’adhésion pleine et entière, inconditionnelle et totale à la ligne éditoriale de l’hebdomadaire satirique. Le « Je suis Charlie » n’engage personne à un abonnement ni même à esquisser un sourire devant une caricature blasphématoire. On peut même – c’est un droit – détester le journal, son contenu, ne jamais l’acheter, n’apprécier ni les rédacteurs ni les dessinateurs et, pour autant, clamer, haut et fort, « Je suis Charlie ! ».
L’expression apparue, sur les réseaux sociaux, quelques heures après le drame du 7 janvier est une paraphrase de la célèbre « Je suis berlinois » de J. F. Kennedy voire surtout du « nous sommes tous américains », lancé par Jean-Marie Colombani, alors patron du Monde, le lendemain des attentats du 11-Septembre.
Affirmer une telle phrase en 2001 n’était nullement synonyme de sympathie à l’égard de George W. Bush ou de ses amis néoconservateurs, ni une adhésion à leur politique détestable et unilatérale. L’on pouvait dès lors être de gauche, français ou italien, opposé au messianisme développé outre-Atlantique et se sentir, car porté par sa seule humanité, profondément américain. D’abord par solidarité pour les 3000 victimes, ensuite par rejet de l’acte barbare qui leur a fauché la vie. Enfin, par principe, car le terrorisme qui vise à imposer des points de vue ou des projets de société par la force et par la violence, a fortiori si le projet de société en question est à essence fasciste, doit être rejeté.
Même si nos amis de Charlie Hebdo (et les autres victimes du 7 janvier et celles des jours suivants) sont aux antipodes de ce qu’était l’administration américaine en 2001, le « Je suis Charlie » comme le « Nous sommes tous des Américains » n’est rien d’autre qu’une empathie exprimée à l’égard de victimes, happées lâchement par l’hydre terroriste qui se revendique de l’islam.
« Je suis Charlie » est avant tout un cri de révolte et un cri du cœur, produit par notre humanité, contre une injustice qui a coûté la vie à 12 personnes. La même injustice barbare qui fera, les jours suivants, cinq nouvelles victimes et qui nous a poussé à être « policier » ou « juif », voire « policier » et « juif ».
Partant, hormis jouer sur les mots. La rhétorique de type « Je condamne les attentats, mais je ne suis pas Charlie », choisie notamment par le gourou islamiste Tariq Ramadan, et reprise en chœur par plusieurs de ses adeptes, doit être comprise clairement puisque les partisans d’une telle logique, dont l’indécence n’a d’égale que le mépris affiché pour des victimes du terrorisme islamiste, ne voulaient pas dire autre chose que: « Nous condamnons les attentats pour endormir l’opinion publique, mais nous n’avons aucune empathie pour les victimes ». On ne peut pas nier cette interprétation d’autant que l’argument brandi par les hypocrites de tous poils fut « ils l’ont bien cherché ». Un peu comme la jeune fille violée qui serait condamnée pour avoir porté une mini-jupe.
Évidemment, on cherche à se faire cribler de balles lorsqu’on blasphème. Pour des esprits tordus, exercer un droit – celui du blasphème en est un – devient un acte de provocation. Dès lors, nous devrions nous interdire de caricaturer une vache, afin de ne pas susciter l’ire des hindous, adeptes de la zoolâtrie, qui seraient légitimes à vider un chargeur de kalachnikovs devant l’offense qui serait faite à la « vache mère ».
Si le « Je suis Charlie », « Je suis policier » ou « Je suis juif » n’est rien d’autre qu’une empathie exprimée à l’endroit des victimes, qui aurait le courage de dire publiquement qu’il ne ressent ni empathie ni sympathie pour les victimes? Ceux qui prétendent ne pas être Charlie tout simplement parce qu’ils ne partageraient pas la ligne éditoriale de ce journal irrévérencieux et, soit dit en passant, foncièrement antiraciste, ne donnent aucun argument qui nous permettrait de comprendre pourquoi ils ne sont ni « policiers » ni « juifs ». Serait-ce juste l’expression d’un désaccord avec les PV dressés par la maréchaussée et une détestation des produits casher?
Plus sérieusement, qui a été assassiné entre les 7 et 9 janvier dernier?
Que l’on soit d’accord ou pas avec la ligne éditoriale de Charlie Hebdo, une certaine décence devrait inciter ceux qui clament leur rejet de la satire qu’il ne s’agit pas d’une simple polémique ou d’un simple procès. On nous avait d’ailleurs bassiné avec ce rejet de la ligne éditoriale en février 2007 lors du désormais célèbre procès des caricatures. Il ne s’agit donc pas d’une caricature offensante à laquelle aurait répondu un texte pamphlétaire. Ce qui aurait été normal en démocratie.
Que nenni, le sujet du jour concerne d’un côté un simple trait de crayon et de l’autre douze corps criblés de balles, plusieurs blessés, des familles et des amis éplorés et une société sous état de choc. C’est dire que le 7 janvier, c’est la liberté de la presse, mais au-delà, nos libertés collectives, mais au-delà encore la liberté de chacun d’entre nous qu’on a voulu assassiner.
Alors qui n’est pas Charlie ?
Que celui qui n’est pas Charlie, au regard de ce qui précède s’avance et le clame haut et fort.
Le 8 janvier au matin. Aux portes de Paris. Un autre tueur – cherchant probablement à atteindre une école juive à Montrouge pour y perpétrer un carnage – finit par se dérober devant le dispositif policier sécurisant le site et préfère tirer lâchement dans le dos d’une policière stagiaire de 26 ans. Ce n’est pas la jeune Clarissa qui était visée, mais son uniforme. L’ordre républicain, ennemi des terroristes fascistes se revendiquant de l’islam politique, est évidemment l’une des réponses que la société française – dans son ensemble – oppose aux tenants de la barbarie.
Alors qui n’est pas Clarissa ? Qui n’est pas Policier ? Que celui qui n’est pas policier, au regard de ce qui précède s’avance et le clame haut et fort.
Le 9 janvier. Les tueurs de Charlie Hebdo et le lâche assassin de la policière de Montrouge franchissent un cap supplémentaire dans l’horreur. Les premiers se réfugient dans une entreprise et le second s’engouffre dans une épicerie Casher pour prendre en otage des citoyens venus faire leurs emplettes. Le choix de la cible n’est pas anodin. Dès le départ, le barbare assassine quatre personnes. Quatre juifs sont tués parce que juifs. Pour ajouter de l’horreur à l’horreur, nous le savons, les islamistes cherchent désormais, de manière systématique, à commettre le crime antisémite. Car leur idéologie est aussi antisémite. Au nom d’une haine irrationnelle puisée dans des textes moyenâgeux, interprétés de surcroît par des ignares, la mort du juif est devenue, aux yeux de ces criminels, l’objectif suprême.
Alors qui n’est pas juif ? Que celui qui n’est pas juif, au regard de ce qui précède s’avance et le clame haut et fort.
Car celui qui n’est ni Charlie, ni policier, ni juif, celui qui n’a aucune empathie pour des victimes lâchement criblées de balles ne peut qu’avoir sinon de la sympathie pour des tueurs de l’indulgence et de la compréhension à l’égard des meurtres et des meurtriers.