La résurgence de l’antisémitisme

On pourrait penser que l’Europe, un continent qui a connu, dans son histoire récente, les horreurs de la Shoah, résisterait à l’influence persistante des préjugés antisémites. Pourtant, les actes d’hostilité à l’encontre des personnes de culture ou de confession juive ont augmenté ces dernières années.

Selon les chiffres publiés en janvier dernier en France par le ministère de l’Intérieur, 687 faits antisémites ont été constatés en 2019, contre 541 en 2018, soit une augmentation de 27 %.Une hausse de 74 % avait déjà été enregistrée en 2018. Une autre étude de l’IFOP révèle qu’un Juif sur trois se sentirait menacé en France et que 70% d’entre eux disent avoir été victimes d’au moins un acte antisémite au cours de leur vie.

Qui favorise ou perpètre les actes antisémites ? Les islamistes, les obsédés d’Israël et les tenants de l’extrême-droite « traditionnelle » au cœur de l’antisémitisme

Ce sentiment d’insécurité et cette progression de l’antisémitisme peuvent s’expliquer d’une part par la violence islamiste, alimentée par la haine envers les juifs en tant que membres d’une religion qui, dans la vision des islamistes, est l’ennemie de l’Islam tel qu’ils le conçoivent. En sus, cette haine trouve comme carburants supplémentaires les théories du complot ainsi que l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien présenté comme un combat entre des juifs illégitimes et des musulmans aux droits bafoués ainsi qu’un Islam humilié sur une terre qui comprend l’un de ses lieux saints (le Dôme du Rocher à Jérusalem). Les attentats à l’école juive d’Ozar Hatorah à Toulouse en mars 2012, puis de l’Hyper Casher en janvier 2015 sont l’expression de cet antijudaïsme (la haine des juifs en tant que membres d’une religion) qui se mêle ici à une haine ouvertement antisémite (la haine des Juifs en tant que membres d’un Peuple).

Cette légitimation de la haine des Juifs par le détour du conflit israélo-palestinien est facilitée par le fait que, depuis les années 1960, l’antisémitisme se camoufle parfois derrière le masque de l’antisionisme radical. Rappelons que le sionisme est un mouvement prônant l’établissement d’un foyer national juif, dont la localisation sera assez rapidement l’objet d’un consensus : la Palestine ou Terre d’Israël, lieu du berceau historique du peuple juif. L’antisionisme est un terme qui peut être utilisé de façon différente mais, au sens propre, il serait la négation de ce droit et inclurait la remise en cause du droit de l’Etat d’Israël, fondé en 1948, à exister.

Sous couvert de ce qui se présente comme une critique de la politique israélienne – ce qui est un droit dont beaucoup d’Israéliens ne se privent d’ailleurs pas  -, peuvent parfois s’exprimer une telle remise en cause et/ou se camoufler une véritable prise à partie des Juifs dans leur ensemble puisque présentés, en tous points du globe, comme les responsables des violences, des injustices et des difficultés extrêmes que vivent les Palestiniens (violences, injustices et difficultés au demeurant bien réelles).

Mais cette résurgence de l’antisémitisme coïncide aussi avec une montée des forces d’extrême droite en Europe et plus généralement en Occident (cf. poussée électorale des forces populistes nationalistes en Europe, apparition de groupuscules identitaires…) et la virulence des extrêmes de tous bords qui peuvent parfois se retrouver à partager cette hostilité à l’égard des juifs.

Dans cette mouvance essentiellement composée de l’extrême droite « traditionnelle », l’hostilité à l’égard des Juifs est telle qu’elle a conduit à des attaques terroristes sanglantes ces derniers mois en plusieurs points du globe : aux Etats-Unis où la synagogue de Pittsburgh a été la cible d’un attentat sanglant – 11 morts – perpétré par un individu accusant notamment les Juifs d’aider les migrants et donc de participer au « grand remplacement » des populations blanches et chrétiennes par des populations venues d’ailleurs. De même, en Allemagne, l’attentat contre la synagogue de Halle en octobre 2019 est le fait d’un jeune homme négationniste et néonazi pour lequel les Juifs sont la source de tous les maux. Au-delà de ces faits sanglants, la responsabilité de responsables politiques d’extrême droite a été pointée mais également celle de responsables politiques et parfois de chefs d’Etat appartenant à un camp populiste et conservateur. Ainsi, les attaques répétées de Viktor Orban, président de la Hongrie, ou celles de Trump et de ses partisans contre le philanthrope juif George Soros ont été pointées par les organisations de défense des droits de l’Homme, à l’image de l’Anti Defamation League aux Etats-Unis.

Et en France, que se passe-t-il ? L’action judiciaire de SOS Racisme contre quelques figures de l’antisémitisme

L’une des particularités de l’antisémitisme demeure la force des fantasmes et représentations des juifs comme des êtres agissant dans un champ occulte et malfaisant : on les accuse de haïr les non-juifs, de pratiquer des crimes rituels, de se livrer à des complots ou encore d’user de leur influence. C’est parce que certains continuent d’assimiler les juifs à l’argent qu’un couple de juifs a été séquestré et agressé à Créteil en 2014 ou qu’Ilan Halimi a été enlevé, séquestré et torturé en 2006. SOS Racisme se constitue partie civile aux procès afin de lutter contre ces actes de violences et ces discours de haine obsessionnels.

 

 

Dieudonné a par exemple été condamné à plusieurs reprises pour avoir tenu des propos antisémites dans le cadre de son spectacle « La Bête immonde » en 2014. En plus de reprendre le cliché du « commerçant juif », il dénigrait les juifs dans leur ensemble dans un délire complotiste, en expliquant que l’absence de procès pour l’esclavage était dû au fait que les esclavagistes auraient été juifs. Il a aussi récemment été condamné pour complicité d’injures à caractère antisémite après la publication d’une chanson dont les paroles tournaient en dérision le drame de la Shoah. On notera que, chez Dieudonné, l’antisémitisme montre sa capacité exceptionnelle à « déférer » des publics venus d’horizons différents : personnes en difficulté sociale qui se délectent de la haine des Juifs par jalousie sociale, extrême-droite assez classique (rappelons que Jean-Marie Le Pen est le parrain d’un des enfants de Dieudonné), personnes qui pensent que le monde est dominé par un « axe américano-sioniste »…

Autre figure de l’antisémitisme en France, Alain Soral est également coutumier des tribunaux. Il a notamment été condamné en première instance à un an de prison ferme après avoir publiquement comparé le Panthéon à « une véritable déchetterie casher » suite à l’entrée en juillet 2018 de Simone Veil, personnalité politique rescapée de la Shoah. Les juges ont en effet considéré que la notion de « déchets » pouvait renvoyer à des objets inutiles, sales voire nocifs, à des non-sujets, et «dans le contexte, à la déshumanisation subie par les juifs telle que décrite par les survivants et témoins des camps ».

SOS Racisme a également dénoncé la publication de caricatures antisémites sur le site internet d’Alain Soral, dont l’une représentait plusieurs personnalités juives sous la forme déshumanisante de cancrelats, considérés comme nuisibles, et pour laquelle il a été condamné à 4 mois de prison avec sursis. La publication d’une vidéo en janvier 2019 montrant des papiers sur lesquels figuraient les noms de personnalités juives jetés au feu lui a par ailleurs valu une peine de 24 mois de prison, dont 18 mois fermes pour provocation à la haine et à la violence.

Autre antisémite notoire, Hervé Ryssen a été définitivement condamné à huit mois de prison ferme après avoir préconisé sur Twitter « le port de l’étoile jaune », d’une « combinaison fluo » et d’un « gyrophare sur la tête » pour distinguer les personnes de confession juive. Lui était également reprochée la publication d’une publicité pour un médicament fictif, censé « guérir du judaïsme », de ses multiples symptômes et ainsi prévenir des « dérives incestueuses ». Il avait aussi été condamné pour ses propos diffamatoires, toujours à l’égard des juifs, leur imputant le « massacre de trente millions de chrétiens en URSS entre 1917 et 1947 » et la publication de son ouvrage intitulé « Les milliards d’Israël, escrocs juifs et financiers internationaux ».

Les juges ont considéré que de tels propos portent atteinte à la dignité humaine, « de sorte qu’il n’est pas possible de se prévaloir d’un quelconque caractère humoristique » et qu’il a« excédé les limites admissibles de la liberté d’expression ».

Malgré les condamnations, dans une attitude de défi à la justice, ces personnages persistent et récidivent dans leur obsession haineuse, ce qui explique un durcissement des sanctions judiciaires allant jusqu’à des peines de prison ferme. Ces sanctions sont nécessaires face à la dangerosité et l’impact idéologique de ces discours qui appellent à la haine envers l’ensemble de la communauté juive et poussent encore trop d’individus à commettre des actes racistes. En 2018, Mireille Knoll, octogénaire survivante de la rafle du Vél d’Hiv, a été assassinée chez elle parce que juive. Les profanations de cimetières juifs se multiplient depuis plusieurs années, l’arbre planté à la mémoire d’Ilan Halimi a été retrouvé scié et les dessins de croix gammée, symbole nazi particulièrement violent, sont de plus en plus fréquemment utilisés.

SOS Racisme continue d’agir pour que soit mis un terme à cette logique de haine qui, par le biais de plus en plus d’internet et des réseaux sociaux, se banalise et fragilise le vivre ensemble et l’idéal républicain, au bénéfice d’une pleine considération de la loi et du respect de la dignité humaine.