17 avril 1975 : les Khmers rouges entraient dans Phnom Penh

Quand les Khmers rouges envahissent Phnom Penh le 17 avril 1975, le monde était loin de se douter que cela marquait le début d'une dictature qui allait provoquer la mort du quart de la population du pays. Le mouvement Khmer rouge, plus exactement le Parti communiste du Kampuchéa, est un mouvement politico-militaire communiste radical d’inspiration maoïste qui dirige le Cambodge de 1975 à 1979 et dont la figure emblématique est Pol Pot. Après trois ans et demi au pouvoir durant lesquels 1,7 million de Cambodgiens périrent, les Khmers rouges sont renversés en 1979 par l’Armée populaire vietnamienne qui pénètre dans Phnom Penh.

 

 

Le Cambodge au lendemain de l’indépendance : une situation intérieure impactée par le conflit au Viêt-Nam

Après la fin du protectorat français en 1953, le Cambodge, habitée essentiellement par l’ethnie khmère, devient une monarchie constitutionnelle dirigée par le Prince Norodom Sihanouk. Le pays connait alors une période de croissance, la famine recule et le pays connaît une phase d’intense modernisation. Mais l’environnement géopolitique est plein de menaces. Dans le contexte de la Guerre qui sévit entre le Sud Viêt-Nam pro-américain et le Nord Viêt-Nam communiste, Sihanouk mène d’abord une politique de neutralité. Puis ensant que les Chinois finiront par dominer la péninsule indochinoise, Sihanouk profite de l’officialisation de l’intervention des Etats-Unis dans le conflit vietnamien pour rompre avec les Américains et s’allier aux Chinois. Cette fin de la neutralité entraîne alors des conséquences en cascade. Les conservateurs vont en effet tenir en méfiance Sihanouk suite à cette alliance. Et ce d’autant plus que cette alliance, au-delà de l’opposition idéologique des conservateurs aux communistes, entraîne deux conséquences :

– une présence de plus en plus forte de troupes communistes vietnamiennes au Cambodge dans le cadre de la guerre du Viêt-Nam.

– une baisse des exportations de riz liée au détournement de la production de riz au profit des Viêt-Cong du Sud Viêt-Nam (c’est-à-dire les insurgés communistes au Sud Viêt-Nam luttant contre le régime proaméricain et l’Armée américaine).

La gauche, quant à elle, est réprimée par le général pro-américain de la défense, Lon Nol, représentant du camp conservateur. Et les dirigeants du Parti Communiste du Kampuchéa (les Khmers rouges) rejoignent le maquis à partir de 1963, ne pouvant espérer se développer via une action légale que Sihanouk s’échine à rendre improductive sur le plan électoral.

Aux origines du régime khmer rouge : une guérilla communiste au succès grandissant

Lon Nol devient premier Ministre suite à la victoire entachée d’irrégularités du camp conservateur aux élections législatives de 1966. Il durcit sa politique envers la gauche, ainsi qu’envers les paysans s’adonnant au « trafic de riz » avec les Viêt-Cong. Ces paysans déjà échaudés par les très fortes inégalités économiques et sociales formeront à partir de 1967 la base de la guérilla khmère rouge qui prend alors de l’ampleur.

Sous la pression de Lon Nol et constatant que les Chinois appuient la guérilla khmère rouge, Sihanouk opère un nouveau retournement d’alliance en 1969 : il rompt avec la Chine et redevient l’allié des Etats-Unis. Sihanouk, à qui sont reprochés non seulement ses frasques incessantes mais également son manque de fermeté face à la présence de troupes communistes vietnamiennes sur le territoire cambodgien, est renversé en 1970 par son Premier Ministre, Lon Nol, qui instaure la République khmère, soutenue par les Etats-Unis et le Sud Viêt-Nam.

Le régime khmer rouge : un régime de terreur criminelle

Pour retrouver son trône, Sihanouk va alors, sous l’égide de la Chine, faire alliance avec ses anciens ennemis les Khmers rouges. Le Cambodge bascule dans une véritable guerre civile. Profitant des échecs économiques du gouvernement de Lon Nol et des bombardements américains sur le Cambodge destinés à affaiblir les Viêt-Cong qui y ont installé des bases et des voies de communication, les Khmers rouges s’assurent le soutien croissant de la population et s’emparent peu à peu du pays, mettant en place une politique de collectivisation radicale dans les zones conquises. Le 17 avril 1975, les Khmers rouges entrent dans la capitale Phnom Penh.

Le communisme version khmère rouge, qui s’apparentera à une sanglante dictature, est immédiatement mis en place. Sihanouk, après avoir défendu le nouveau régime en octobre 1975 devant les Nations-Unies, se rend compte qu’il ne contrôle plus rien. Il démissionne de sa fonction royale quelques mois plus tard et est placé en résidence surveillée.

Le Cambodge, dénommé depuis janvier 1976 le Kampuchéa démocratique, est alors dirigé par le leader incontesté des Khmers rouges : Pol Pot (officiellement Premier Ministre, tandis que Khieu Sampan devient le Chef de l’Etat). Cette nouvelle architecture institutionnelle manifeste ce qui est la réalité depuis la chute de Phnom Penh : les Khmers rouges sont les seuls maîtres du Cambodge.

L’application de leur vision du monde va entraîner rapidement le Cambodge dans un cauchemar. Les villes sont immédiatement évacuées et leurs habitants déportés à la campagne (volonté de purification de populations corrompues par des mœurs bourgeoises, mais également technique de désorganisation de la société civile urbaine, centre potentiel de contestation du nouveau régime).

Brisant les relations sociales et les modes d’organisation par ces déportations, les Khmers prolongent cette désorganisation par la destruction des liens familiaux (retrait de l’autorité parentale sur les enfants, soumis à une (ré)éducation commune). La collectivisation à marche forcée concerne l’ensemble du territoire, contribuant à une désorganisation de l’économie cambodgienne qui provoquera bientôt des famines. Dans cette économie collectivisée, les habitants sont placés dans un état de servitude absolue proche de l’esclavage, sans liberté de circulation. Cette déstabilisation immédiate et profonde de la société permet aux Khmers rouges de mettre en place un programme totalitaire : absence de liberté de conscience, arbitraire de tous les instants, déportations répétées d’une zone rurale à l’autre, retrait de tout moment d’intimité (repas collectifs,…).

Dans leur recherche effrénée d’une pureté dont ils détiennent le monopole de l‘interprétation, les Khmers rouges vont se lancer dans des persécutions de masse visant à rééduquer et à éliminer les « ennemis ». Parmi ces derniers, les anciens citadins sont des victimes de choix, puisque réputés corrompus par leur vie citadine. Au-delà de la quotidienneté des exécutions sommaires et des massacres, des centres de rééducation (en fait des prisons doublées de centres de torture) vont bientôt couvrir le pays, à l’image du centre S-21 (ancien lycée de Tuol Seng, devenu le musée du génocide cambodgien à partir de 1980). Les conditions de détention et les tortures en font des lieux de mort, où périront des dizaines et des dizaines de milliers de Cambodgiens, victimes de la folie de la recherche de la pureté.

La chute du régime

Les tensions politiques vont progressivement s’accroitre avec le Viêt-Nam (réunifié sous direction communiste depuis 1975), pays avec lequel les relations sont historiquement conflictuelles. Tandis que les Vietnamiens souhaitent s’assurer le leadership dans la péninsule indochinoise, le régime Khmer rouge a des visées sur la Cochinchine (sud du Viêt-Nam), considérée comme le berceau du peuple Khmer. En 1977, les Khmers rouges y font une incursion militaire. Tandis que les Vietnamiens appellent à la haine envers les Khmers présents sur leur territoire, le régime Khmer Rouge déploie une politique de répression envers les populations d’origine vietnamienne présentes au Cambodge. Au cours de l’année 1978, les tensions ne cessent de s’accroitre et les massacres des personnes d’origine vietnamienne deviennent systématiques. Le 21 décembre 1978, la guerre est déclarée entre le Cambodge et le Viêt-Nam.

Aidée par des défections d’officiers khmers rouges fuyant la multiplication des purges internes du régime, l’armée vietnamienne entre au Cambodge et le 7 janvier 1979, les Vietnamiens pénètrent dans Phnom Penh. Le régime khmer rouge est renversé. La tentative d’invasion du Nord du Viêt-Nam par la Chine, afin de pousser les Vietnamiens à retirer leurs troupes du Cambodge et donc de permettre aux Khmers rouges de se rétablir, se solde par un échec (n.b : le Viêt-Nam – sous protection de l’URSS – et la Chine sont alors en conflit larvé depuis plusieurs années, ce qui avait fini par amener à une alliance entre les Khmers rouges et la Chine).

Les Khmers rouges après leur renversement

Ce n’est pourtant qu’à la toute fin des années 1990, après le maintien d’une guérilla et une position peu claire de la communauté internationale (dont une partie soutient la guérilla khmère rouge par refus de voir le Viêt-Nam, pro-soviétique, laisser des troupes stationnées au Cambodge), que les Khmers rouges disparaitront après la défection, la capture ou la mort de leurs principaux dirigeants.

En 2003, des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens ont été instituées afin de traduire en justice les principaux dirigeants Khmers rouges. Elles sont encore en exercice aujourd’hui.

Peut-on parler d’un génocide cambodgien ?

Tortures mortelles, exécutions sommaires, famines liées à la désorganisation de la société mais aussi victimes de persécutions raciales et religieuses (massacres perpétrés contre les Chams, les Thaïs, les Viets et les Lao) : selon l’étude la plus complète sur le sujet (menée par l’Université de Yale), ces différents méfaits aboutiront sous le régime des Khmers rouges à la mort d’1,7 million de Cambodgiens (soit 21% de la population de l’époque, sans compter les personnes victimes de séquelles physiques et psychologiques). L’ampleur de ces massacres amène souvent à parler de génocide (« actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux » selon la définition de l’ONU). Or, dans le cas du Cambodge, ce qualificatif ne fait pas l’unanimité et n’est pas retenu sur le plan international. En effet, les victimes des bourreaux khmers sont elles-mêmes essentiellement khmères. Ca n’est donc pas en tant que khmères que ces personnes ont été victimes des Khmers rouges. Le terme de politicide est parfois évoqué puisqu’il s’agissait plutôt d’éliminer des personnes ayant ou risquant d’avoir des opinions politiques différentes. Cependant, les massacres dont ont été victimes les Chams (musulmans) et les Viets pourraient être constitutifs d’actes de génocide, selon l’importance que l’on accorde au poids de la religion ou de l’ethnie dans la décision des Khmers rouges d’éliminer ces deux groupes.

 

 

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