Madame la députée Obono, l’antiracisme n’est pas un jeu

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Danièle Obono a réussi un certain exploit: en quelques semaines de présence à l’Assemblée, la nouvelle députée s’est incontestablement fait un nom grâce à de nombreuses sorties qui ont nourri la polémique. Le problème, c’est qu’il existe différentes raisons pour lesquelles on se forge un nom. Soit en brillant par des analyses qui modifient les paradigmes de la vie politique –il suffit ici de penser à Jaurès et au souffle de socialisme qu’il parvint à faire entrer au Palais Bourbon– soit en jouant les trublions qui laissent au mieux dans les esprits un souvenir plus ou moins amusé.

Je crains qu’à ce stade Madame Obono ne se soit rangée dans la seconde catégorie en s’exprimant à propos de Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigènes de la République.

De quoi s’agit-il? Des propos suivants tenus le 5 novembre dernier sur les ondes de Radio J alors que la députée était interrogée sur les obsessions antisémites d’Houria Bouteldja:

« Je respecte la militante antiraciste. (…) Houria Bouteldja (…) est une militante antiraciste. (…) Je considère Houria Bouteldja comme une camarade, parce qu’elle fait partie de ce mouvement-là. Et dans ce mouvement-là, on se bat sur la question de l’égalité. (…) Il ne faut pas réduire tous ces militants antiracistes à des antisémites. »

En tant que président de la principale association antiraciste de notre pays, je ne peux qu’être d’accord avec le fait qu' »il ne faut pas réduire tous les militants antiracistes à des antisémites ». Mais il se trouve qu’Houria Bouteldja n’est pas réduite à une antisémite parce qu’elle tiendrait des propos antiracistes. Elle est réduite à une antisémite parce qu’elle tient des propos … antisémites.

D’ailleurs, il se trouve qu’on ne peut pas être antisémite et antiraciste. Ce qui fait qu’Houria Bouteldja n’est en rien une antiraciste. Rappelons à Madame Obono, dont l’engagement « antiraciste » autoproclamé semble s’être réduit à ce stade à des attaques contre Charlie Hebdo, à des propos ambigus sur Dieudonné et à quelques lauriers tressés au très racialiste PIR, que l’antiracisme est un mouvement d’émancipation issu de l’Humanisme et fondé sur les impératifs de l’égalité et du respect de la dignité des individus.

Or, voici quelques-unes des déclarations –significatives- de Houria Bouteldja:

« L’idéologie selon laquelle les couples mixtes, la rencontre entre deux cultures c’est beau, est vraiment pourrie. » Les tenants de la ségrégation raciale et de l’Apartheid n’auraient pas dit mieux…

« Si une femme noire est violée par un noir, c’est compréhensible qu’elle ne porte pas plainte pour protéger la communauté noire. » Nous attendons l’avis de Madame Bouteldja sur la conduite que les femmes noires devraient adopter si elles étaient violées par un arabe ou un métis.

« Comme chacun sait, la tarlouze n’est pas tout à fait un homme. Ainsi, l’Arabe qui perd sa puissance virile n’est plus un homme. » Je me suis toujours méfié des personnes qui émettaient des jugements moraux à partir de ce que, sans contrainte sur autrui, les hommes faisaient de leur sexe.

Bref, en plus d’avoir tenu des propos antisémites, Madame Bouteldja a adopté un positionnement raciste, sexiste et homophobe. Et c’est donc cette personne que Madame Obono qualifie de « camarade », c’est-à-dire une sœur de combat avec qui elle a mené des luttes pour l’ « égalité » (à l’exclusion manifestement des « bâtards », des « putes » et des « pédés ») qui seraient donc des luttes « antiracistes ».

Que faire face à un tel concentré d’inepties? Essayer peut-être de décrypter ce spectaculaire confusionnisme.

Si ce dernier procède d’une évidente lacune idéologique, il trouve vraisemblablement sa source dans un problème de positionnement au sein d’une société héritière d’un passé de violence coloniale et complexe sur son rapport à la différence, car tout en même temps capable d’ouverture et de discriminations, d’amour et de violence envers ses enfants, d’empathie et d’intolérance, de progrès démocratiques et de penchants sécuritaires.

Face à cette complexité trop difficile à intégrer, des groupes militants se sont mis à la rejeter, refusant de percevoir les points d’appui que la société leur offrait, refusant de faire le pari de l’Autre qui peut aussi être une violence ou à tout le moins une mise en danger, se repliant sous une avalanche de concepts pour masquer leur mal-être.

Comment se définissent d’ailleurs ces groupes militants? Très fréquemment par une avalanche de « -istes »: antiracistes, anticolonialistes, antifascistes, afro-féministes, panafricanistes, etc, etc, etc… Une avalanche –jusqu’à la nausée– qui découle davantage de ce problème de positionnement que nous évoquions que d’une richesse de la pensée à laquelle nous ne pouvons croire tant, à côté de concepts éprouvés, s’accumulent des néo-concepts fumeux (les « racisés », « le racisme d’Etat », « l’antiracisme politique »…) qui ne visent pas à penser le monde mais à se protéger de l’expérience de l’Autre derrière des remparts de mots.

Si bien que leur logorrhée apparaît comme la dissertation d’un mauvais élève qui remplacerait la pensée par l’accumulation de concepts et de références à de glorieux anciens censée lui donner ce que sa façon d’être au monde pas plus que sa seule pensée, trop faible, trop confuse ou trop inassumable, ne sauraient lui donner: une contenance, une légitimité et une cohérence.

Toujours mal à l’aise, toujours dans la bancalité, toujours dans l’oscillation entre la rancœur et la volonté d’être aimés, ces militants se baladent sur un échiquier où ils voudraient secrètement occuper tout en même temps la place du roi, de la reine, du pion et de la tour, au risque de devenir le fou.

Ces bancalités de l’être et de la pensée dénotent une réalité que ces militants ne peuvent faire accéder à leur conscience et encore moins intégrer à leur langage: le complexe et la peur face au Blanc, lourde tendance des victimes du racisme chez eux maquillée derrière un histrionisme provocateur censé prouver une assise et une force dont secrètement ils se pensent dépourvus.

Les conséquences en sont gravissimes sur la lutte antiraciste, d’autant que la radicalité de salon de quelques journalistes et intellectuels tend à faire de ces militants des représentants d’une lutte antiraciste à laquelle ils ne participent pourtant pas.

Non pas que ces névroses identitaires soient étrangères à la lutte antiraciste. Cette dernière ne saurait d’ailleurs prospérer sans les intégrer à ses préoccupations puisque en dépend la capacité d’émancipation et d’épanouissement des individus historiquement frappés par le racisme. Les conséquences en sont gravissimes parce que ces militants vivent dans la boucle de leurs propres névroses, comme si l’Histoire traumatique devait toujours se répéter, encore et encore, dans ce qui apparaît au final comme une drôle de jouissance. Car si les traumas coloniaux sont gigantesques, n’en déplaise aux voix réactionnaires qui les prolongent par leur malveillante négation, un des buts de l’antiracisme est précisément d’amener les sociétés à les dépasser collectivement. Et non de les entretenir et de les transmettre, comme s’y emploie Madame Bouteldja qui semble être un concentré des traumas de l’Algérie française. Mais il est vrai que l’on se sent toujours moins névrosé quand on tend à s’entourer de névrosés…

Or, là où la plaisanterie doit cesser, c’est que les positionnements idéologiques ont des effets réels dans la société et sur les nouvelles générations.

C’est pourquoi il est insupportable de constater que des militants tendent à enfermer la jeunesse dans une impasse sociale et identitaire.

C’est pourquoi il est insupportable que quelques journalistes, intellectuels et militants blancs se distraient de ces tendances en les soutenant et en les relayant, dans un sinistre amusement empreint de légèreté coloniale vis-à-vis de groupes auto-réduits à des caricatures et réduits à des objets de contentement narcissique par lesdits journalistes, intellectuels et militants.

C’est pourquoi il est insupportable qu’une députée, qui n’est pas une jeune défavorisée privée d’outils d’émancipation mais une femme de 37 ans qui appartient au cercle des notables, fasse preuve d’une telle inconséquence qui n’affecte pas sa seule réputation mais entretient un dangereux confusionnisme en soutenant de fait des propos d’une spectaculaire violence.

Madame Obono pense-t-elle que des jeunes doivent être enfermés dans la rancœur et la haine de l’Autre? Madame Obono pense-t-elle que les propos homophobes de Houria Bouteldja ne pourraient pas avoir de conséquences sur de jeunes arabes? Madame Obono a-t-elle déjà entendu parler des suicides chez les jeunes homosexuels? Madame Obono pense-t-elle que la lutte contre le racisme puisse être amalgamée à une lutte contre les Juifs? Madame Obono pense-t-elle à cet égard que la ségrégation raciale aux Etats-Unis et l’Apartheid en Afrique du Sud auraient été plus rapidement abolis si Martin Luther King et Mandela avaient insulté les Juifs plutôt que respectivement combattu les suprémacistes Wasp et les suprémacistes afrikaners? Madame Obono pense-t-elle que l’égalité soit, in fine, un concept fumeux et que, comme le dit sa « camarade », les populations d’origine immigrée devraient s’enfermer dans leur « clan », dans leur « race » et dans leur « religion »? Madame Obono est-elle capable de comprendre que l’on ne lutte pas contre le racisme en soutenant un personnage aux propos racistes, propos qui sont autant de sources de légitimité pour une extrême-droite traditionnelle qui n’en attendait pas tant?

Que des tendances régressives existent dans les populations d’origine immigrée du fait des douleurs identitaires est une chose, qu’il faut d’ailleurs traiter car il s’agit là d’un piège légué aux populations historiquement touchées par les systèmes d’oppression raciste.

Que celles et ceux qui en seraient porteurs ne doivent pas d’emblée être cloués au pilori mais accompagnés dans une démarche d’émancipation et d’épanouissement est une autre chose, qui fait d’ailleurs partie d’une des fonctions des organisations antiracistes lorsque viennent à elles des jeunes qui cherchent leur façon d’exister au monde.

Mais que ces tendances soient défendues et diffusées par des militants et qui plus est par une députée est chose impardonnable.

 

Par Dominique SOPO, président de SOS Racisme