Face à la haine, la clarté et l’unité
L'insouciance d'une soirée d'automne aux timides accents estivaux régnait sur Paris et sa banlieue en ce vendredi 13 novembre. J'étais pour ma part engagé dans une discussion sur la France, ses tensions, sur les promoteurs de haines qui montaient en miroir et s'incarnaient par une détestation commune de l'espace du vivre ensemble.
La discussion traitait des défaillances institutionnelles de notre pays face à ces impasses. Relation entre les Juifs et les Arabes, nœud passionnel que représente la guerre d’Algérie,… Mais également cet arrière fond d’un monde arabo-musulman et d’un Occident se vivant comme des blocs en confrontation et travaillés par les mauvais génies visant à les construire comme des blocs ontologiquement antagonistes inéluctablement engagés dans la peur de la domination que l’un infligerait à l’autre… Malhonnêteté et perversité des prises de position de personnalités, associations ou partis politiques jouant sur ces douleurs pour construire des fractures et des haines plutôt que des ponts… Nous parlions avec mon interlocuteur des projets à mettre en œuvre pour dépasser ces blocages sans lesquels nous serions plus forts en tant que pays et plus épanouis en tant qu’individus. C’est à ce moment qu’il apprit par l’instantanéité à laquelle nos smartphones nous font accéder qu’une fusillade était en cours à quelques centaines de mètres de notre lieu de discussion.
Ce ne fut pas une fusillade. Ce fut un carnage, dont le sens originel désigne l’abattage des animaux. Car sous les balles, les grenades et les explosifs des assassins, ce n’était plus des hommes et des femmes qui s’offraient à eux mais une masse déshumanisée et sans visage dont il s’agissait de faire couler le sang.
Ces auteurs, à l’instar de ceux qui frappèrent la capitale en janvier dernier, sont animés d’une idéologie djihadiste. C’est-à-dire d’une idéologie de mort confite de racisme et d’antisémitisme. Face à ces attentats, rien ne saurait justifier la moindre complaisance à l’endroit des actes commis. Il ne serait pas plus acceptable de voir se développer, comme en janvier et de la part de personnalités ou d’associations s’étant spécialisées dans l’entretien nauséeux du trouble complotiste et dans le renversement des positions de bourreaux et de victimes, les insinuations les plus douteuses sur la nature des évènements qui viennent de se dérouler. Face au meurtre d’innocents, il n’y a pas de « mais ». Face au meurtre d’innocents, il n’est pas entendable que la violence envers les corps et le vol des vies puissent être considérés comme des moyens légitimes de l’action et des exutoires admissibles aux rancœurs. Avoir une parole publique implique l’acceptation de la pleine responsabilité des propos tenus. La parole douteuse, la parole ambigüe, la parole perverse, c’est une parole qui n’appelle peut-être pas au crime. Mais c’est une parole qui couvre le crime et, pire, le facilite. A cet égard, la presse serait-elle peut-être utilement inspirée à ne pas faire preuve de la complaisance – voire de l’admiration – la plus douteuse envers des groupes qui se présentent sous les oripeaux de l’antiracisme et invitent les jeunes à prendre le chemin de la dignité par l’enfermement dans l’aigreur comme seul horizon.
Face à ces attaques d’une ampleur et d’une sauvagerie inédites dans notre histoire récente, les seules réponses qui vaillent sont la condamnation claire et nette ainsi que le rappel de nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Si le but des terroristes est d’instiller la peur et de nous amener à réduire par nous-mêmes nos libertés, nul ne doit être dupe de l’objectif fondamental des terroristes et de leurs commanditaires. Ce but, c’est celui d’enclencher le cycle infernal de la haine au sein de notre société.
A cet égard, comment ne pas éprouver du dégoût face aux responsables politiques qui, alors que les corps des victimes n’étaient pas encore froids, se sont ingéniés à délivrer des messages de haine envers les personnes de confession musulmane. Il faut toujours se méfier de celles et de ceux qui pensent pouvoir prospérer sur les malheurs du pays. A ceux-là, nous rappellerons que les balles des tueurs ne font pas de distinction entre les religions, les couleurs de peau et les nationalités.
A l’heure où la dynamique est dans notre pays à la restriction continue de l’espace du vivre ensemble, refusons tous les comportements qui approfondissent ce funeste chemin qui nous désigne aux terroristes comme le maillon faible à faire imploser et au bout duquel notre pays se résumerait à deux camps qui s’affrontent et dont la radicalisation de l’un justifierait la radicalisation de l’autre.
L’échec d’une société face aux terrorismes survient lorsque la société se comporte exactement comme les idéologues de la terreur l’avaient prévu. Ne leur offrons pas ce plaisir.
Par Dominique SOPO
Président de SOS Racisme
Tribune publiée le 14 novembre 2015 dans Le Huffingtonpost