Suite aux propos de Marlène Schiappa sur France Info SOS Racisme interpelle le Premier ministre

Monsieur le premier ministre,

 

Nous nous sommes salués une fois. C’était, à l’automne dernier, le dimanche qui suivait le meurtre de Samuel Paty. Vous aviez assisté, sur la place de la République, au rassemblement en hommage à l’enseignant assassiné par un homme rempli d’une haine venue d’une conception dévoyée de l’Islam.

C’est quelques heures avant le rassemblement que vos collaborateurs m’avaient joint afin d’annoncer votre présence. Et pour cause : SOS Racisme avait été à l’initiative de ce rassemblement immédiatement soutenu par l’ensemble des syndicats enseignants ainsi que l’hebdomadaire Charlie Hebdo.

Les orateurs avaient, dans ces heures de sidération, de colère, d’émotion, de peur et de détermination, rendu hommage à Samuel Paty, rappelé le caractère précieux de la liberté d’expression, dit leur soutien au corps enseignant et réaffirmé les valeurs républicaines et leurs vertus émancipatrices.

Quelques semaines auparavant, le 9 juin 2020, sur cette même place de la République, SOS Racisme organisait un rassemblement en hommage à George Floyd, mort d’avoir été noir. Alors que George Floyd était enterré à Denver, des orateurs ont dit leur émotion et leur soutien à ses proches ainsi qu’aux militants pour les droits civiques aux Etats-Unis. Ils y ont aussi dénoncé les violences policières en France mais également les comportements racistes et discriminatoires au sein de la police. Problématiques que le président de la République évoquera d’ailleurs quelques mois plus tard lors d’une interview donnée au média en ligne Brut.

 

Ce matin, dans le « 8h30 franceinfo », Marlène Schiappa a sous entendu qu’Audrey Pulvar s’exprimait devant un « public indigéniste » ou « antipolice » à l’occasion de la vidéo – grossièrement tronquée – qui a récemment conduit Gérald Darmanin à annoncer un dépôt de plainte.

Quel rapport, me direz-vous, avec mes propos précédents ? Celui-ci : le rassemblement où Audrey Pulvar a parlé était précisément celui du 9 juin 2020, organisé par SOS Racisme en hommage à George Floyd.

Ni « indigéniste », ni « antipolice », le public était antiraciste. Il venait dire son émotion à la suite d’un crime raciste. Il venait aussi exprimer, tous âges confondus, un très républicain refus du racisme dans la police.

Puisque, plusieurs heures après les avoir tenus, Marlène Schiappa n’a pas cru devoir lever l’ambiguité de ses propos, je vous écris donc. Non pas pour nourrir une polémique de campagne électorale. Cela ne m’intéresse pas.

Si je vous écris, c’est parce que ces propos sont graves en ce qu’ils insultent l’association que je préside et les milliers de femmes et d’hommes qui, ce jour-là, se sont réunis pour dire « non au racisme ». Tout comme ces propos insultent les associations et personnalités également présentes sur la place de la République.

Mais, au-delà d’une insulte dont on finit toujours par se remettre, ces propos sont graves car leur effet, sinon leur but, est de délégitimer la lutte antiraciste. Non pas par une attaque frontale contre SOS Racisme. Il faut dire que cela serait compliqué puisque l’association – dont le vivre ensemble, l’égalité et l’émancipation sont les valeurs cardinales – peut évidemment être critiquée mais n’est lestée d’aucune tare disqualifiante.

En effet, notre association, composée de militants de toutes origines, lutte contre les discriminations raciales et l’antisémitisme, dénonce les logiques de ghettoïsation sans fermer les yeux sur les menées des entrepreneurs de repli communautaire, combat les attaques verbales et physiques contre les musulmans mais n’a aucune tendresse pour les islamistes, dénonce le racisme dans la police tout en disant l’importance de l’existence d’une institution policière et trouve très étranges ceux qui disent que « tout s’explique par le colonial » et ceux qui répondent « rien ne s’explique par le colonial ».

Alors, à l’attaque frontale, beaucoup préfèrent l’insinuation par la qualification qui résonne comme une disqualification. Ces procédés, qui se sont généralisés dans l’espace médiatico-politique, participent de l’aggravation du climat délétère que traverse notre pays depuis plusieurs mois. En insultant les militants qui luttent quotidiennement contre le racisme et les citoyens qui se mobilisent contre ce fléau contraire aux valeurs de la République, ces propos offrent des boulevards aux forces de la haine identitaire. En abaissant le niveau du débat public tout autant que celui de la décence, ces stratégies aussi irresponsables que cyniques finiront par tout emporter.

Je crains que la sortie de Marlène Schiappa, que cette dernière en soit consciente ou non, participe de ces dynamiques dont je voudrais vous convaincre, si tant est que vous ayez à être convaincu, qu’elles sont d’autant plus graves lorsqu’elles se développent au sommet de l’Etat.

Au moment où l’on commémore les un an du meurtre de George Floyd, une ministre de la République française a cru intelligent de délégitimer l’antiracisme.

Au moment où l’on commémorera les deux ans du meurtre de George Floyd, ces petits jeux, s’ils se poursuivaient, pourraient avoir amené au pouvoir des ministres qui, eux, légitimeront le racisme.

 

Vous laissant sur cette réflexion et vous sachant animé d’un sens de l’Etat et d’un attachement profond aux valeurs de la République, je vous prie, monsieur le premier ministre, de recevoir mes salutations distinguées.

 

Dominique SOPO
Président de SOS Racisme