« Name and shame » des entreprises qui discriminent et « stratégie gouvernementale » contre les discriminations raciales : sortir des ambiguïtés

Plus de huit mois après la livraison de l’étude, l’identité des entreprises qui discriminent à l’embauche sera – peut-être – dévoilée le 6 février prochain lors de la présentation d’une « stratégie gouvernementale » contre ce problème, a annoncé ce lundi Marlène Schiappa.

La secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes a lancé : « Le 6 février, nous présenterons avec plusieurs ministres la première stratégie gouvernementale [de lutte contre les discriminations], avec les associations, avec les acteurs qui suivent sur le terrain depuis des années, luttent parfois seuls contre les discriminations », avant d’ajouter : « Nous pouvons aller vers du “name and shame”, c’est-à-dire nommer des entreprises qui discriminent ».

Si la perspective d’un « name and shame » est positive, notamment après de longs mois de silence du Gouvernement suite à une étude réalisée auprès de 103 entreprises qu’il avait lui-même commandée, nos inquiétudes et insatisfactions sont plurielles. Nous avions, devant ce silence, interpellé le Gouvernement il y a quelques jours en lui demandant de prendre en considération le thème des discriminations raciales et de tenir ses promesses en divulguant le nom des entreprises qui effectuent des différences de traitement en fonction de l’origine de la personne ou de son apparence physique.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une double annonce : une hypothétique révélation des noms des entreprises discriminantes et la divulgation d’une « stratégie gouvernementale » en présence des associations.

Nous nous étonnons que nous soyons toujours à l’heure des hypothèses concernant la révélation de l’identité des entreprises discriminantes alors qu’en réalité, le Gouvernement avait lui-même fait de cet axe – qui nous semblait déjà en-deçà du rôle d’un Etat – son outil de lutte contre les discriminations raciales.

Nous nous étonnons également qu’il soit annoncé qu’une stratégie gouvernementale sera dévoilée en présence des associations alors que les associations n’ont pas été consultées en amont, y compris lorsque – à l’image de SOS Racisme – elles sont reconnues comme des spécialistes du sujet des discriminations raciales.

SOS Racisme rappelle que la lutte contre les discriminations nécessite des mesures fortes de la part de l’Etat, qui a pour lui la puissance du législateur. C’est pourquoi, notamment, nous demandons des mesures fortes sur l’obligation de formations à la non discrimination dans les entreprises. A cet égard, rappelons que l’obligation de formation des recruteurs à la non discrimination qui avait été votée en 2016 a été de fait récemment abandonnée par le gouvernement à travers le décret d’application qui ne prévoyait plus que la définition de préconisations dans un guide.

Cette logique montre un manque d’engagement des pouvoirs publics sur le sujet des discriminations raciales ainsi qu’une volonté habituellement limitée – sous ce gouvernement et sous beaucoup des précédents – au discours sur la nécessité de « convaincre » les acteurs plutôt que de les sanctionner.

Pour Dominique SOPO, président de SOS Racisme, « cette logique de la conviction est une logique sinon hypocrite à tout le moins perdante. On remarquera d’ailleurs que, en matière de répression des délits, elle semble être appliquée au seul domaine des discriminations raciales dont les victimes sont renvoyées à la bonne volonté des délinquants d’être convaincus de cesser la commission de leurs délits ».

De fait, une vraie stratégie publique de lutte contre les discriminations raciales au travail nécessite des obligations de formation sur le droit et sur les stéréotypes racistes, une réflexion sur les conditions d’accès aux marchés publics, un suivi des entreprises discriminantes par l’Inspection du travail ou encore des sanctions financières à l’encontre des entreprises discriminantes (à l’instar de ce qui a été fait sur l’égalité entre les femmes et les hommes).

Sinon, nous continuerons à nous trouver dans la situation d’une absence de volontarisme des entreprises en matière de lutte contre les discriminations raciales, reflet de l’absence de volonté des pouvoirs publics qui prévaut depuis maintenant trop d’années.

Sinon, les résultats inquiétants des grandes entreprises se résumeront à une énième étude oubliée dans deux mois, pour des phénomènes mis en évidence par SOS Racisme depuis maintenant 20 ans.

Sinon, des millions de femmes et d’hommes continueront à voir leurs problèmes d’accès à l’emploi fondés sur leurs origines perdurer, au mépris de l’égalité républicaine et au risque de tous les replis et de toutes les rancœurs.