L’Algérie, une passion française

Le 19 mars, nous commémorons la fin d’une guerre. Une guerre qui, de 1954 à 1962, opposa la France à l’Algérie. Au bout de 8 longues années, le cessez-le-feu entrait en vigueur, conformément aux Accords d’Evian - signés la veille – qui mirent fin à la colonisation française en Algérie en reconnaissant l’indépendance de l’Algérie. Une telle date est importante à commémorer au regard de l’impact qu’ont eu et ont encore la colonisation et la guerre d’Algérie dans les mémoires françaises. Cet impact ne se comprend qu’au regard de l’Histoire de la colonisation et de la guerre : un rapport de violence entre la France et l’Algérie, mais aussi une histoire commune entre les deux pays.

Bref retour historique

La colonisation débute en 1830 avec la prise d’Alger par l’armée française. La conquête fut longue – 4 décennies – et brutale, conduisant par exemple l’armée française à pratiquer les enfumades contre des populations civiles, asphyxiés dans les grottes où ils s’étaient réfugiés. C’est sur un territoire dévasté devenu département français qu’arrivent de nombreux colons. Les Algériens deviendront des “indigènes”, de nationalité française mais privés de tous droits civils et politiques. Un statut qui ne leur permet pas de participer aux prises de décisions et les exclut spécifiquement de la citoyenneté.

Cette situation perdure et s’accompagne de répressions des mouvements nationalistes et indépendantistes émergents. Le 8 mai 1945, en même temps qu’est fêtée la libération de la France, des massacres sont perpétrés à Sétif et Guelma contre la population pour avoir fait apparaitre un drapeau algérien et manifesté le désir de pouvoir décider de son avenir.

C’est cette volonté d’indépendance et le refus de la France d’entendre ces revendications qui sont les déclencheurs de la guerre d’Algérie. Un groupe s’est constitué et officialise sa création aux yeux du monde lors des attentats de la Toussaint rouge en 1954 : le FLN (Front de Libération Nationale) est né. C’est le point de départ d’une guerre qui durera près de 8 ans, nommée « guerre d’Algérie » en France mais « guerre d’indépendance » en Algérie.

Une guerre à laquelle prendront part des militaires de métier mais également 1,5 million d’appelés du contingent (c’est-à-dire des jeunes Français envoyés en Algérie pendant leur service militaire), et transformera la vie de celles et ceux qui composent la société algérienne : les pieds-noirs (c’est-à-dire les Européens qui jouissent de la citoyenneté française et vivent essentiellement dans les villes), les Juifs d’Algérie (populations présentes avant la colonisation par la France et qui accèdent à la citoyenneté française en 1870) et, composant l’immense majorité de la population, les Algériens musulmans.

Sur le sol algérien, c’est une guerre qui a fait une large place à la torture et aux assassinats, comme celui de Maurice Audin, un militant communiste assassiné par l’armée française pour son soutien à la lutte pour l’indépendance. Sur la fin de cette guerre, une organisation d’extrême droite appelée OAS (Organisation de l’Armée Secrète) organise des attaques terroristes contre la population algérienne et les Européens réputés proches de la cause indépendantiste, tandis que le FLN emploie les armes pour mettre fin à la colonisation. Cette violence s’exerce aussi en métropole. C’est ainsi qu’à Paris, le 17 octobre 1961, des centaines d’Algériens sont jetés dans la Seine et noyés par la police pour avoir manifesté pacifiquement contre le couvre-feu que le pouvoir leur imposait.

Les accords d’Evian signés en 1962 ont mis fin à la souveraineté française sur le territoire algérien. Cette guerre a conduit au départ soudain en France de centaines de milliers de pieds-noirs mais aussi de harkis qui avaient combattu pour une Algérie française et qui ne trouveront pas en France la reconnaissance qu’ils attendaient.

Le racisme anti-arabe, matrice de l’extrême-droite française

La société française a été profondément marquée par la période coloniale et le traumatisme de la guerre d’Algérie.

Dans les années 1970-80, le racisme anti-arabe ressurgit avec virulence. La montée de l’extrême-droite se traduit par des violences physiques à l’encontre des immigrés et fils et filles d’immigrés qui vont manifester leur soif d’égalité lors des marches de 1983 et 1984. Ces mobilisations se feront en parallèle de débats malveillants, teintés de racisme colonial et culturel sur la place des immigrés en France ou – déjà à l’époque ! – sur la compatibilité de l’islam avec la République.

Pour les nostalgiques de l’Algérie française, le simple fait que des enfants d’Algériens puissent avoir la nationalité française et réclamer l’égalité est insupportable. Pour les immigrés et enfants d’immigrés algériens, le fait d’être citoyen du pays qui a colonisé son pays d’origine pose des questions très complexes sur leur place dans la société.

Aujourd’hui, la question algérienne reste passionnelle en France. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir les réactions suscitées par les drapeaux algériens brandis sur les Champs-Elysées après la victoire de l’Algérie lors de la Coupe d’Afrique des Nations 2019.

Si l’égalité avance, cela suscite de fortes crispations identitaires. En témoignent les propos et discours jouant dangereusement sur la haine envers les immigrés, les Arabes et les musulmans.

La théorie meurtrière et raciste du “Grand remplacement” n’est pas sans rappeler les propos de l’extrême-droite sur une supposée “colonisation inversée” des Algériens en France.

L’une des conséquences majeures de la période coloniale est la diffusion de stéréotypes et préjugés qui donnent lieu à des discriminations raciales, pourtant punies par la loi. Que ces discriminations soient opérées de façon consciente ou non, elles créent des ruptures d’égalité inadmissibles dans l’accès à l’emploi ou au logement par exemple.

Pourtant, des avancées majeures ont été enregistrées ces dernières années sur l’histoire de la colonisation et de ses violences. En témoigne la reconnaissance par le Président Macron du meurtre de Maurice Audin, militant anticolonialiste, “mort sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France”.

Ainsi, la lutte pour des mémoires partagées doit permettre de dépasser, pour notre génération, le carcan colonial afin de se projeter vers un avenir apaisé et empreint d’égalité.