26 décembre 1957 : Abane Ramdane ne sera jamais le n°1 du FLN

Attiré au Maroc dans un guet-apens monté par ses rivaux au sein du FLN algérien, Abane Ramdane atterrit à Tétouan le 26 décembre 1957. Il pense venir participer à une délégation devant rencontrer le roi du Maroc Mohamed V afin de faciliter l’action en territoire marocain des révolutionnaires algériens engagés dans une guerre de libération contre la France depuis le 1er novembre 1954. Quelques heures plus tard, il gît sans vie sur le sol d’une ferme isolée, étranglé par les hommes de main d’Abdelhafid Boussouf, colonel de l’Armée de Libération Nationale et membre du Conseil National de la Révolution Algérienne. Ainsi se termine la vie de l’ « architecte de la révolution », alors sur le point de devenir dans les faits le n°1 du FLN.

Abane Ramdane nait en Kabylie le 10 juin 1920. Mobilisé dans un régiment de tirailleurs algériens durant la Seconde Guerre Mondiale en attente de départ pour l’Italie, il est démobilisé et entre au sein du Parti du Peuple Algérien (PPA) du dirigeant indépendantiste alors incontesté Messali Hadj. Parallèlement, il vit grâce à un emploi municipal au sein de l’administration coloniale.

Après les massacres de Sétif et Guelma de mai 1945 (répression par la France des manifestations nationalistes du 8 mai qui se solda par plusieurs milliers de morts du côté musulman), Abane rompt avec l’administration coloniale et entre en clandestinité pour se consacrer entièrement à la cause indépendantiste au sein du MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques, parti messaliste qui succède en 1946 au PPA après la dissolution de ce dernier). Il y gravit rapidement les échelons pour devenir un des responsables régionaux du parti. Parallèlement, il devient à partir de 1947 membre de l’OS (Organisation Spéciale), branche armée du parti chargée de préparer la révolution et la marche vers l’indépendance.

Abane fera partie des membres de l’OS arrêtés en 1950 par la puissance coloniale lors de son démantèlement par l’armée française. Il est incarcéré dans plusieurs prisons en métropole et en Algérie. Durant ces années de prison, il parfait son éducation politique. Il est tenu au courant des préparatifs de l’insurrection du 1er novembre 1954 (la « Toussaint Rouge », acte déclencheur de la Guerre d’Algérie), menée par des anciens de l’OS qui s’impatientent de ce qu’ils estiment être des tergiversations de Messali Hadj avec lequel ils rompent en fondant le Front de Libération Nationale (FLN).

Bien qu’emprisonné, Abane Ramdane est désigné par ses anciens camarades de l’OS comme un des 12 dirigeants de la révolution. Libéré en janvier 1955, il est assigné à résidence en Kabylie. Quelques jours plus tard, Abane s’échappe, entre en clandestinité et devient le responsable politique du FLN pour Alger. Il s’attelle surtout à la structuration du mouvement révolutionnaire au niveau national, en participant à la mise sur pied d’une presse et de structures syndicales indépendantistes ainsi qu’en s’occupant de la coordination des différentes wilayas (régions).

Il est le principal architecte du Congrès de la Soummam. Se tenant le 20 août 1956, ce Congrès, sous l’impulsion d’Abane Ramdane décide de la primauté du FLN de l’intérieur sur celui de l’extérieur (notamment représenté par Ahmed Ben Bella) et du politique sur le militaire. Le Congrès décide également de la création d’un Conseil National de la Révolution Algérienne, dont les décisions doivent être mises concrètement en œuvre par un Comité de Coordination et d’Exécution (CCE), ancêtre du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA). Le CCE est composé de 5 membres : Abane Ramdane lui-même, Larbi Ben M’Hidi, Krim Belkacem, Benyoucef Benkhedda et Saad Dahlab. Tous ces membres participeront à la montée des violences à Alger lors de l’année 1956. La Casbah d’Alger devient alors un foyer insurrectionnel quasi-permanent. En janvier 1957, les paras du général Massu engagent la « bataille d’Alger », faite de ratissages et de tortures. En février, Ben M’Hidi est arrêté puis assassiné par les hommes de Massu. Les autres membres du CCE et Yacef Saadi (qui commande les opérations côté algérien) sont traqués par l’armée française. Les membres du CCE doivent fuir Alger pour Tunis tandis que Yacef Saadi est arrêté en septembre. Sur le plan militaire, la défaite du FLN est consommée le 9 octobre 1957 au lendemain du plastiquage par l’Armée française du repaire d’Ali la pointe (qui refusait de se rendre), ancien voyou devenu un des leaders de la résistance algéroise à la puissance coloniale.

Parallèlement, lors de la réunion du CNRA du 20 août 1957 qui se tient au Caire (« capitale » du FLN de l’extérieur), Abane Ramdane se trouve marginalisé au sein du CCE. Ben M’Hidi est déjà mort. Benkhedda et Dalhab en sont éliminés. Krim Belkacem, ancien allié d’Abane, prend le parti des opposants à Ababe Ramdane, à savoir les militaires et le FLN de l’extérieur, qui prennent là leur revanche sur les décisions du Congrès de la Soummam. Sur le théâtre algérien ou à sa proximité, de nouveaux hommes forts apparaissent. Outre Krim Belkacem, au faite de sa puissance, émergent des militaires tels que les colonels Lakhdar Ben Tobbal et Abdelhafid Boussouf, les auteurs du guet-apens qui coûtera quelques mois plus tard la vie à Abane Ramdane.

Décidé par les instances du FLN dans des circonstances floues, le guet-apens dont fut victime Abane Ramdane devait initialement aboutir à sa séquestration sous la responsabilité de Boussouf (qui ne faisait pourtant pas mystère de sa volonté d’éliminer physiquement Abane Ramdane…) et donc à l’élimination politique du tenant de la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur.

La mort d’Abane Ramdane ne sera annoncée que le 29 mai 1958 par la presse révolutionnaire et sera présentée comme « une mort au champ d’honneur », suite à un accrochage avec l’armée française. Cette mort, fruit d’un assassinat comme méthode de règlement des conflits internes, inaugurera également une pratique de la violence politique dont l’Algérie a encore aujourd’hui du mal à sortir.

En 1962, le pouvoir sera finalement conquis par Ahmed Ben Bella (FLN de l’extérieur), aidé par l’ « armée des frontières » de Houari Boumediene. Mais l’esprit du Congrès de la Soummam avait déjà disparu un certain 26 décembre 1957 avec la mort du plus politique des dirigeants de la révolution.

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