« Vivre libre ou mourir » : Le 28 mai 1802, Louis Delgrès mourait à Matouba, en Guadeloupe
Le 28 mai 1802, Louis Delgrès mourait à Matouba, en Guadeloupe. Il n’avait pas encore 36 ans. A cette époque-là, cela aurait pu être une mort naturelle. Mais il n’en fut rien. Louis Delgrès est né en 1766 en Martinique. Si la Martinique et les colonies antillaises de la France étaient des terres d’esclavage, Louis Delgrès n’était pas un esclave. Il était un « libre de couleur », fils d’un fonctionnaire blanc et d’une mère mulâtresse, dans cette société coloniale et esclavagiste où les nuances de la carnation dessinaient des classes et des dignités.
Louis Delgrès fut un militaire de valeur qui se battit dans les armées révolutionnaires. C’est au sein de la troupe où il s’éleva plus tard jusqu’au rang de colonel qu’il participa à la mise en place de la première abolition de l’esclavage proclamée le 4 février 1794 par la Convention.
Dans cette époque pleine de revirements, de conquêtes et de reconquêtes où se croisent dans un maelstrom incessant les armées françaises et britanniques, les intérêts des planteurs, des libres de couleur, des esclaves, les alliances et les revirements, les captures et les échanges de prisonniers de guerre, les actes de bravoure, la sincérité des principes proclamés tout autant que l’hypocrisie et le cynisme politiques, Louis Delgrès affermit ses positions abolitionnistes pour lesquelles il se bat et pour lesquelles il mourra.
Car, si l’esclavage a été aboli en 1794, Bonaparte, le tout puissant Premier consul qui a canalisé – sinon brisé – le processus de la Révolution après avoir servi cette dernière, entend revenir sur cette abolition. L’abolition ne procédait pas que de la vertu d’un Camille Desmoulins proclamant « Périssent nos colonies plutôt qu’un principe ». Elle procédait également de la nécessité de mater les planteurs royalistes et de contrer l’influence du Royaume-Uni qui profitait alors des troubles révolutionnaires pour « voler » à la France ses possessions antillaises aux florissantes ressources sucrières.
Alors, en 1802, Bonaparte envoya à Saint-Domingue, la future Haïti et alors la perle des colonies françaises, le général Leclerc à la tête de troupes de reconquête face à l’autonomie que s’était octroyée le général Toussaint-Louverture. En Guadeloupe, il envoya le général Richepance. C’est dans ce contexte que Louis Delgrès entra en rébellion contre l’armée française qu’il avait jusque-là servie. Car, bien qu’initialement non révélée, il devint évident que l’un des objectifs de ces expéditions militaires était le rétablissement de l’esclavage.
Alors, sachant la défaite venir face aux troupes de Richepance, Louis Delgrès publie le 10 mai 1802 sa proclamation « A l’univers entier ». Ce « dernier cri de l’innocence et du désespoir » tente de galvaniser les populations tout autant qu’il est un splendide appel à la fraternité. Mais il dessine aussi ce que sera la fin de Delgrès, à travers cette maxime révolutionnaire: « Vivre libre ou mourir ». Assiégé dans le Fort Saint-Charles, lui et ses fidèles s’échappent. Résistant à la tête d’un petit groupe, il est finalement acculé à Matouba où, appliquant la maxime qu’il avait fièrement proclamée à la face du monde, il préféra, en compagnie des 300 résistants qui l’accompagnaient, se suicider en se faisant sauter à l’explosif. Ainsi périt Louis Delgrès le 28 mai 1802, d’une mort non naturelle.
Quelques semaines plus tard, Richepance publie un arrêté rétablissant l’esclavage en Guadeloupe. On peut y lire : « Jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, le titre de citoyen français ne sera porté dans l’étendue de cette colonie et dépendances que par les blancs. Aucun autre individu ne pourra prendre ce titre ni exercer les fonctions qui y sont attachées ».
Dans un premier temps, le Fort Saint-Charles a été renommé Fort Richepance pour honorer la mémoire de ce dernier. En 1989, ce lieu a été rebaptisé Fort Louis Delgrès pour que soit honoré celui qui fut le vrai héros de l’histoire qui s’y joua en mai 1802.