Un nouveau Front populaire contre les discriminations racistes
Tribune de Dominique Sopo, président de SOS Racisme, publiée dans l’Humanité
Le programme du Nouveau Front populaire sur les questions antiracistes présente des mesures qui vont dans le bon sens et qui, pour une grande partie d’entre elles, font partie des mesures que nous avons présentées aux candidats aux élections présidentielle et législatives de 2022.
Naturellement, la rédaction rapide du programme rend certaines mesures imprécises ou mal rédigées. Mais elles sont globalement salvatrices dans un pays dans lequel l‘extrême-droite, accompagnée par une partie importante de la droite LR et par des fractions de la majorité présidentielle, a rendu l’air irrespirable sur nos sujets.
En matière de lutte contre les discriminations à caractère raciste, l’annonce d’un plan de réduction de ce fléau que nous avons rendu visible par la méthode des testings est cruciale, ainsi que le renforcement des sanctions risqués par les auteurs de tels actes. Cependant, cela demande des moyens et une réflexion précise sur les architectures institutionnelles à repenser, points sur lesquels le programme gagnerait à gagner en densité, en précision et en pertinence.
Au-delà de cette partie du programme réservée aux questions de discriminations, d’autres propositions devraient agir dans le sens d’une réduction des pratiques discriminatoires. Par exemple, l’objectif de remontée vigoureuse de la construction du nombre annuel de logements est de nature à faire baisser les phénomènes de file d’attente dont on sait qu’ils sont propices au déclenchement de pratiques discriminatoires car, plus vous avez le choix entre différents candidats, plus il est aisé de sélectionner, hélas sur des critères parfois prohibés par la loi. De la même manière, conditionner les aides publiques aux entreprises au respect de critères de non-discrimination pourra contribuer à faire refluer les discriminations à l’embauche et dans le déroulement de carrière.
Dans la mesure où les haines sont multiples, il est intéressant de les prendre toutes à bras-le-corps, car c’est la cohérence d’un engagement pour l’égale dignité entre les individus qui est ici en jeu. À cet égard, la prise en compte de l’ampleur des actes ou propos antisémites et antimusulmans est essentielle. Il faudrait cependant veiller à ne pas tomber dans une forme de spécialisation caricaturale : les Juifs se font agresser à l’Ecole, les musulmans se font insulter dans les médias et les noirs se font discriminer à l’emploi et au logement. Les haines ne se cantonnent jamais à un secteur en particulier même si, selon qu’elles s’adressent à tel ou tel, elles vont se déployer selon des modalités propres et dans des lieux spécifiques.
C’est pourquoi la question des médias est ici importante car une partie d’entre eux – et on peut penser évidemment aux médias de Bolloré mais pas seulement – ont électrisé le débat, l’ont enfiévré, l’ont brutalisé, en ciblant de nombreuses populations. Les immigrés et leurs enfants, les Arabes, les noirs, les musulmans évidemment. Les Juifs également, de façon plus insidieuse (laisser pérorer Zemmour sur le fait que Pétain avait sauvé les Juifs français en est un exemple). Sans compter les groupes qui ne sont pas victimes de racisme mais d’autres formes de haine : les femmes, les personnes LGBT etc. Vouloir, comme le propose le programme du NFP, lutter contre la concentration dans les médias (même si c’est là un veux serpent de mer car cette volonté se heurte à des réalités économiques) et conditionner les aides publiques aux médias qui seraient exempts de condamnation pour incitation à la haine sont des mesures qui vont dans le bon sens et dont on peut espérer un apaisement du débat médiatique et un coup d’arrêt à la promotion des stéréotypes à visée haineuse à l’endroit des groupes susmentionnés. Le débat, oui. La haine, non ! Cependant, ne soyons pas naïfs : la haine ne se combat pas seulement en luttant contre les médias qui surfent dessus et la propagent. Le combat est plus large. Il est aussi – et peut-être surtout – politique et culturel.
C’est d’ailleurs très positif, car cela change les conditions du débat, que ce programme affirme ou réaffirme des pistes fondamentales qui concernent les sujets antiracistes mais les dépassent également largement :
- la réforme de la police – avec le retour de la police de la proximité, le démantèlement des Brav M, l’instauration d’un récépissé de contrôle et la mise en place d’une autorité indépendante en lieu et place de l’IGPN et de l’IGGN – est cruciale. Alors que nous allons commémorer le terrible anniversaire du meurtre de Nahel, on voit à quel point ce chantier doit être pris à bras-le-corps par une majorité de gauche. Il n’est pas possible de faire l’économie d’une action vigoureuse pour lutter contre le racisme qui règne au sein de cette institution, n’en déplaise à quelques syndicats extrémistes auxquels on a laissé les coudées bien trop franches ces dernières décennies, au point que deux d’entre eux ont – sans aucune sanction – publiquement exprimé en juillet dernier des positions quasi factieuses.
- sur l’immigration, le changement de logiciel est là également appréciable, avec l’abrogation de la loi Immigration, symbole d’une course sans fin derrière l’extrême-droite, et des réaffirmations de réformes « en positif » qui rompraient avec cette tendance, lorsque l’on parle d’immigration, de devoir expliquer que l’on va lutter contre l’immigration et réduire les droits des immigrés. Vouloir faire du titre de 10 ans le titre de séjour de référence est l’affirmation d’une sympathie qui a depuis longtemps disparu du débat au profit d’une agressivité à l’endroit d’immigrés ravalés à la fonction de boucs émissaires.
- enfin, sur la jeunesse, la suppression du SNU au profit d’un réinvestissement dans l’Éducation populaire est essentielle. Quel rapport avec les questions de racisme ? Le fait que je pressens que ce SNU – dans la droite ligne des questions d’uniforme scolaire par exemple – sent la mise au pas de la jeunesse. Et notamment d’une jeunesse d’origine immigrée ou ultramarine dont la loyauté et le niveau d’adhésion à la civilisation sont sans cesse mis en doute, avec le fantasme de devoir les redresser.
- enfin, sur les Outre-mer, au-delà des mesures générales en faveur de ces territoires, l’annonce de l’abandon du dégel du corps électoral est évidemment une mesure de justice et d’apaisement, après les tensions générées par la brutalité de la méthode employée par Emmanuel Macron, une brutalité qui aura largement marqué sa pratique du pouvoir. Au-delà de ces annonces il faudra réaffirmer, pour la Nouvelle-Calédonie, que nous sommes face à un processus de décolonisation et non face à une problématique sécuritaire. Et, pour les autres territoires Outre-mer, peut-être serait-il bon également que les partis de gauche en aient une approche qui aille au-delà des aides à y apporter. La question des dynamiques de ces territoires, parfois encore très marqués par le « pacte colonial » dans leur fonctionnement et dans leur économie, est à poser avec davantage d’audace.
Au-delà de ces mesures – dans leurs aspects positifs et parfois dans leurs limites ou imprécisions -, il faut aussi que les partis ne se paient pas simplement de mots. Agir sur les questions de racisme et d’antisémitisme, cela demande deux autres choses qu’un programme, aussi convaincant soit-il :
- que les partis montrent l’exemple. Être contre les discriminations, c’est bien. Montrer que l’on est capable de s’ouvrir à toute la diversité de la société, c’est pas mal non plus. Quand je vois la photo des acteurs du Nouveau Front populaire prise ce vendredi, je me demande comment il est possible encore aujourd’hui de prendre une photo d’autant de personnes sans voir qu’il n’y a pas un seul noir par exemple. Cela montre le chemin qui reste à parcourir.
- que les comportements des dirigeants soient à la hauteur de ces enjeux. Par exemple, si la gauche s’est retrouvée en difficulté sur la question de l’antisémitisme, c’est aussi en raison d’outrances et d’ambiguïtés qui doivent définitivement cesser. En outre, si la gauche est vue avec circonspection sur la question de la lutte contre les discriminations, c’est là également par ses renoncements et parfois des propos ou des actes objectivement agressifs. La lutte contre le racisme et l’antisémitisme, c’est une lutte contre des grandes violences léguées par une longue Histoire d’oppressions, de sang, d’injustices et de mépris. On ne rigole pas avec cette Histoire et on ne jette pas les « ébranlés » de cette Histoire les uns contre les autres.