[TRIBUNE] – Monsieur Macron, pour l’Histoire de France, engagez-vous à créer un Musée de l’Esclavage au cœur de Paris
Votre parole est attendue. Elle sera scrutée par celles et ceux dont les aïeux furent réduits en esclavage.
En 2016, plus de 150 associations se sont mobilisées pour demander, en guise de réparations ainsi que pour l’intérêt public, la mise en place d’un musée de l’esclavage. Le Président Hollande avait répondu favorablement à cette demande le 10 mai 2016. Le 26 septembre 2017, le Conseil de Paris a adopté un vœu adressé à l’Etat demandant lui aussi la mise en place d’un musée de l’esclavage.
Le 27 avril 2018, vous prendrez, Monsieur le président de la République, la parole à l’occasion des 170 ans de l’abolition de l’esclavage.
Votre parole est attendue. Elle sera scrutée par celles et ceux dont les aïeux furent réduits en esclavage. Elle sera scrutée en Afrique, dans les Amériques et les Antilles, dans l’Océan Indien, dans tous ces pays qui ont avec la France cet héritage en partage. Elle sera scrutée également par celles et ceux qui, au-delà de leurs histoires singulières, constatent que notre pays continue à avoir du mal à traiter de ce passé douloureux. Un passé qui charrie aujourd’hui encore des rancœurs et des représentations racistes issues des préjugés légués par cette trop longue page de l’Histoire de France. Un passé où s’est aussi formé ce qui fait la France d’aujourd’hui, ses valeurs, sa culture et sa diversité.
La grandeur d’un pays est d’assumer toute son Histoire, notamment lorsqu’elle est source de fractures. 170 ans après l’abolition de l’esclavage, l’heure n’est pas à passer sous silence l’histoire de l’esclavage. Elle doit, tout au contraire, permettre à notre pays de rentrer enfin dans une phase de maturité par rapport à son passé esclavagiste et colonialiste.
En tant que Président de la République, cette tâche vous incombe. C’est pourquoi, à l’occasion de votre prise de parole du 27 avril, nous vous demandons de vous engager à transformer l’Hôtel de la Marine en Musée de l’Esclavage. Siège de la future Fondation pour la mémoire de l’Esclavage, cet emplacement central dans la capitale sera une reconnaissance que le lieu du pouvoir politique qui a décidé de la traite et de la colonisation, est désormais un lieu occupé par un pouvoir qui en a enfin saisi toute l’ignominie passée et ses conséquences présentes.
Aux côtés du mémorial des noms attribués aux 200.000 esclaves dont nous soutenons l’édification dans le proche Jardin des Tuileries, ce musée, situé au sein de l’Hôtel où Victor Schœlcher signa le décret d’abolition de l’esclavage le 27 avril 1848, deviendra ainsi un lieu de connaissance de l’Histoire, de pédagogie, de lutte contre les préjugés, de rappel des combats menés pour la liberté, l’égalité et la fraternité, de valorisation des cultures élaborées dans l’enfer de l’esclavage, de ressources, d’archives et de débats. Bref, ce musée et ce mémorial, complémentaires et unis par leur proximité géographique, constitueront un ensemble qui manque cruellement à notre pays pour expliquer à toutes et tous d’où nous venons et, dans une logique de partage des mémoires, ce qui nous rassemble aujourd’hui.
En 2016, sur le Mall à Washington, Barack Obama a inauguré le musée de l’histoire et de la culture africaines-américaines, une institution qui trouve elle aussi son origine dans la traite et l’esclavage. En un an, il a déjà été visité par plus de 3 millions de personnes, et il est devenu une étape incontournable pour tous les visiteurs de marque dans la capitale américaine. Paris et la France méritent une institution similaire, parce que notre passé le justifie, parce que notre présent le demande, parce qu’elle nous aidera à bâtir ensemble un avenir plus fort et plus uni.
Ne doutant pas de votre compréhension des dynamiques mémorielles, nous attendons avec impatience votre décision afin que, au-delà des engagements pris par votre prédécesseur, vous soyez celui qui s’engagera sur un lieu, définira des moyens et fixera un calendrier, conditions nécessaires à toute réalisation muséale.
Signataires: Dominique SOPO*, Président de SOS Racisme, Emmanuel GORDIEN*, Président du CM98, Louis-Georges TIN*, président du CRAN, Olivier SERVA, Président de la délégation parlementaire aux Outre-Mer, Doudou DIENE*, Rapporteur spécial de l’ONU
* Membre du Conseil d’Orientation du GIP « Mission de la Mémoire de l’Esclavage, des Traites et de leurs Abolitions »