Retour sur l’affaire Rossignol
Depuis hier, une nouvelle polémique se déploie dans l'espace public. Elle fait suite aux propos tenus par Laurence Rossignol lors de l'émission "Bourdin direct". Dénonçant la mode islamique et les codes sociaux d'infériorisation des femmes que cette mode portait en elle, la ministre des Droits des femmes a tracé un parallèle entre "les nègres américains" qui étaient favorables à l'esclavage et les femmes qui portent volontairement le voile.
Ces propos et la polémique qui s’en est suivie appellent plusieurs commentaires.
Laurence Rossignol est-elle raciste? Non
Elle a d’ailleurs une trajectoire antiraciste qui l’a amenée à agir pour l’égalité bien plus que certains détracteurs du jour dont l’action « militante » se réduit à l’indignation télématique ponctuelle et narcissique. Notons également que Laurence Rossignol a, en matière d’égalité, une trajectoire féministe constante, bien loin de celles et ceux qui se découvrent féministes uniquement lorsqu’il s’agit de condamner le voile mais beaucoup moins lorsqu’il s’agit de lutter contre les violences conjugales, sauf si le mari est de culture arabo-musulmane.
Les propos sont-ils choquants? Oui, à double titre
D’abord en raison de l’emploi du terme « nègre » qui était inapproprié, même en référence à la terminologie esclavagiste qui de toute façon ne peut être ni exposée ni comprise dans des formats médiatiques de cette nature, c’est-à-dire courts et dont la vocation n’est ni explicative ni démonstrative mais polémique.
Ensuite en raison du fait que le parallèle avec l’esclavage n’est pas opérant. Car s’il est vrai que le voile peut servir de signe politique visant à revendiquer une conception d’infériorisation des femmes à laquelle ces dernières peuvent elles-mêmes acquiescer (il n’est qu’à se souvenir des femmes se battant contre le droit de vote des femmes), il ne se réduit pas à cette seule dimension chez celles qui le portent. Il peut tout aussi bien être porté par adhésion à une tradition non interrogée (ce qui est en général le propre des traditions), par référence religieuse ou par affirmation culturelle. L’esclavage, quant à lui, a un sens et une portée univoques. C’est pourquoi il n’est pas juste de sembler renvoyer en bloc les femmes portant le voile à des ennemies du progrès des droits des femmes. Certes, ça n’est pas, à la lecture du verbatim de l’émission, ce que dit Laurence Rossignol. Mais, une fois de plus, le format médiatique en question pousse à s’intéresser aux formules davantage qu’à des démonstrations d’ailleurs nécessairement partielles.
La polémique est-elle empreinte de sincérité? Oui et non
Oui, dans la mesure où des personnes sont choquées -et il est aisé de le comprendre- par ces propos. Dans un contexte de libération de la parole raciste et d’absence de politique publique de lutte contre les discriminations et les causes du racisme, la sensibilité de beaucoup de personnes est à fleur de peau. Et ce d’autant que la parole raciste que j’évoque est souvent une parole qui ne se présente pas frontalement comme telle mais s’enferme dans des circonvolutions sémantiques qui amènent souvent sa condamnation à être frappée de l’opprobre du procès d’intention. Comme il est insupportable de ne pas pouvoir qualifier de racistes des propos dont on sait qu’ils le sont profondément, alors un propos dans lequel le mot « nègre » figure devient la preuve dont on est depuis trop longtemps frustré.
Non, dans la mesure où toute une série de détracteurs ne sont pas choqués par l’emploi du mot « nègre » mais se mobilisent une fois de plus pour empêcher que soit interrogé le modèle pour lequel ils militent et qui est bien celui de l’infériorisation de la femme. A cet égard, je suis toujours assez surpris de constater que certains indignés professionnels ne semblent s’agiter sur les « femmes musulmanes » que lorsque la question du voile entre en jeu. Par contre, quand les femmes musulmanes à la tête nue sont discriminées -parce que femmes et musulmanes- dans l’accès à l’emploi, au logement ou aux loisirs, leur « silence assourdissant » est récurrent.
La ligne générale du gouvernement est-elle un catalyseur de polémiques? Oui
En effet, des propos sont diversement appréciés en fonction de leur contexte d’énonciation. Quel est le contexte? Celui créé par un pouvoir qui a fait largement silence depuis 2012 sur les questions liées à la lutte contre le racisme et les discriminations et achève son « œuvre » en s’enferrant dans la déshonorante et ahurissante proposition d’étendre la déchéance de la nationalité à des personnes nées françaises et binationales. La lecture qui est faite des propos de Laurence Rossignol ne devrait pas tant inquiéter la ministre que le pouvoir -et singulièrement le président de la République- dont la malveillance à l’endroit des populations d’origine maghrébine et africaine devient la porte d’entrée du décryptage de sa parole.
Par Dominique SOPO
Président de SOS Racisme
Tribune publiée le 31 mars 2016 dans Le Huffingtonpost