Pourquoi il faut reconnaitre la Palestine
Le vote à l'Assemblée Nationale d'une résolution demandant à notre pays de reconnaître l'Etat palestinien a fait couler beaucoup d'encre et a été la cause d'une opposition entre les "pro" et les "anti".
Quelle est la situation ? Aujourd’hui, au Proche-Orient, le processus de paix semble à ce point enlisé que la perspective d’une paix durable sur la base de la solution « Deux peuples, deux Etats » apparaît comme -au mieux- fort lointaine. En outre, les forces politiques en présence semblent, à l’exception de Mahmoud Abbas, jouer la partition de la politique du pire. Les événements sanglants de cet été nous ont rappelé à quel point la montée des haines se construisait en miroir, la radicalisation d’un camp servant à justifier celle de l’autre.
Tandis que le Hamas semble à nouveau dominé par ceux qui en son sein ne peuvent se résoudre à abandonner ce qu’ils estiment être leur meilleure chance de survie sur la scène politique palestinienne – à savoir la détestation d’un Etat d’Israël – le gouvernement de Benjamin Netanyahu n’a su utiliser que le langage de la force et de l’humiliation comme seule perspective offerte aux Palestiniens.
La réalité est triste mais éclatante: aujourd’hui, les parties prenantes sont manifestement à elles seules incapables de résoudre ce conflit pluridécennal dont tout le monde connaît pourtant, quasiment à la virgule près, les conditions de résolution.
Cela apparaît d’autant plus que ces parties au conflit ne semblent même plus vivre cette poursuite infinie du conflit comme une catastrophe commune mais comme l’horizon de toute politique. Pourtant, la paix fondée sur l’édification d’un Etat palestinien souverain et sur l’assurance offerte à Israël de sa pérennité est la seule perspective qui puisse permettre aux deux sociétés respectives de sortir d’une situation à maints égards catastrophique, quand bien même les éléments de la catastrophe ne prendraient pas les mêmes contours.
Pour Israël, la catastrophe, c’est la peur des attentats, l’affectation d’une part trop importante des ressources publiques aux dépenses militaires, l’impossibilité aliénante de communiquer avec son voisin palestinien et la perspective de se voir progressivement mis aux bans des Nations du fait d’un chef de gouvernement dont le plus grand méfait, pour reprendre les mots de l’historien Zeev Sternhell, aura été de faire croire aux Israéliens que la paix relevait d’une chimère qu’il s’agissait d’abandonner.
Pour la Palestine, la catastrophe, c’est la peur des bombardements et des opérations militaires à répétition comme en une sorte de punition collective, l’absence humiliante de souveraineté dont on sait qu’elle fait grandir les haines envers les Israéliens (dans une approche là aussi collective), l’impossibilité concrète d’être les maîtres de leurs destins et de leur développement économique et culturel et, bien évidemment, la présence enkystée sur leur scène politique des ultras du Hamas, à nouveau prompts à justifier des attaques meurtrières contre des civils israéliens. Que changera cette demande de reconnaissance de l’Etat palestinien ? Peut-être le retour de la communauté internationale comme élément de médiation dans un conflit qui consume de l’intérieur deux sociétés pourtant appelées à être sœurs.
Je connais trop bien les arguments de celles et de ceux qui s’opposent à ce texte. Ces arguments renvoient en réalité à deux pensées :
Le fait qu’Israël est faible. Non, Israël n’est pas faible. Dans la partie qui se joue au Proche-Orient, c’est Israël qui détient la force. Mais que vaut la force, que vaut la victoire militaire acquise de fait dans la région si les politiques ne savent pas la transformer en élément d’une négociation conclusive ? Tout ne concourt-il d’ailleurs pas à montrer que la solution à ce conflit ne saurait être militaire mais in fine fondée sur une résolution politique ?
Le fait que les Palestiniens n’aiment pas les Israéliens. Sans doute, et réciproquement. Mais faudra-t-il donc attendre que les Palestiniens aiment les Israéliens pour prendre le chemin de négociations conclusives ? La poursuite de l’occupation militaire et de la colonisation serait censée permettre un amour grandissant des Palestiniens à l’endroit des Israéliens ? Aucun esprit sain ne ferait un pari aussi grotesque. En revanche, tout esprit qui ne serait pas aveuglé par la passion se remémorerait cette évidence : la paix se fait entre ennemis. L’amitié ne peut donc être un préalable à la paix, elle ne peut en être que la conséquence, qu’il faut se résoudre à percevoir comme lointaine.
Qu’est-ce que la France a à apporter de spécifique dans ce conflit? Le refus de considérer le conflit au Proche-Orient comme un conflit ethnico-religieux, mais le fait de le percevoir sous l’angle politique. Donc, le refus de considérer que la partie se jouerait entre Israéliens et Palestiniens mais entre les promoteurs et les adversaires de la Paix.
Le rôle que la France doit pouvoir jouer, notamment parce qu’elle présente sur son territoire les plus importantes populations juives et arabo-musulmanes d’Europe, c’est celui qui consiste à refuser les exclusivismes qui montent au Proche-Orient en faisant la démonstration que la religion ou l’ethnie ne sauraient constituer le carburant aux oppositions et aux conflits de notre siècle.
Espérons que ce que la France n’a pas réussi à démontrer l’été dernier, elle saura désormais le démontrer, bien au-delà de sa diplomatie, par les comportements de chacun d’entre nous.