Les candidats à la présidentielle ne doivent pas être tétanisés face à Marine Le Pen
Si les débats ne doivent pas tourner autour de Marine Le Pen, davantage de punchlines et de références éthiques seraient bienvenus.
Depuis quelques années, par une stupéfiante évolution, Marine Le Pen s’est installée comme un personnage tellement normalisé que les candidats à l’élection présidentielle en sont venus à cesser de la renvoyer dans les cordes de sa démagogie et de sa haine.
Depuis 2011, l’accès népotique de Marine Le Pen à la présidence du Front national a entraîné une fantastique révision de la perception de ce parti par maints intellectuels et éditorialistes, sommant les antiracistes de cesser de diaboliser ce parti qui aurait prétendument muté par la grâce d’une présidente qui soutint toutes les ignominies du père et qui n’a pas hésité à s’entourer de racistes, d’antisémites, de négationnistes et de défenseurs du suprématisme blanc.
Le parti a –t-il changé? Non. Ce qui a changé, c’est le regard que l’on porte sur lui, regard corrompu par une longue période de pourrissement du débat public français par la répétition des diatribes du père puis de la fille ainsi que par une certaine incapacité des responsables politiques à dire le monde et à l’infléchir.
Le débat qui s’est déroulé le lundi 20 mars sur TF1 montre à quel point les candidats eux-mêmes semblent mal à l’aise face à ce personnage histrionique qui s’est arrogé la représentation du « Peuple ».
Les candidats démocrates ont, à cette occasion et bien qu’à des degrés divers, manqué singulièrement de mordant face à Marine Le Pen qui a passé son temps à raconter n’importe quoi, à distiller sa haine et à se poser en candidate du social.
Pourtant, bien des répliques auraient pu être apportées aux sorties hasardeuses, mensongères ou scandaleuses de la présidente du Front national.
Lorsque Marine Le Pen attaque sur le libéralisme des autres candidats, peut-être serait-il utile de rappeler que Jean-Marie Le Pen, durant la vague de libéralisme qui déferla sur l’Europe dans les années 80, voulait se faire reconnaître comme le « Reagan français ». Bref, si le FN avait été au pouvoir lorsque les politiques libérales avaient le plus la côte, ces dernières auraient été bien plus violentes. Ainsi, voir un parti se poser en instance clairvoyante et au discours constant est une aberration quand il s’agit du Front national, qui s’est toujours trompé d’époque et qui a, à chaque époque, proposé les solutions qui auraient été les plus catastrophiques pour notre pays. Si les préconisations du Front national avaient été suivies, il y a sans doute bien longtemps que notre système de protection sociale ne serait plus qu’un lointain souvenir, ainsi que les services publics et en premier lieu l’Ecole publique.
Lorsque François Fillon explique que Marine Le Pen défend le même programme économique que la gauche en 1981, peut-être serait-il utile de rappeler que la gauche, même critique, n’a jamais voulu casser l’Europe, n’a jamais proposé d’isolement du reste du monde et ne propose pas la préférence nationale sur le marché du travail. Les candidats de gauche doivent donc cesser de donner l’impression d’être gênés aux entournures face à cette argumentation, pourtant bien connue lorsque l’on se confronte à des forces fascisantes telles que le Front national.
D’ailleurs, lorsque Marine Le Pen parle du « peuple français » dont elle serait la défenseure, peut-être serait-il utile de rappeler que le « peuple » dont elle parle dit très majoritairement qu’elle est dangereuse et que les forces d’extrême-droite finissent toujours par exclure du peuple des pans entiers de la population pour mieux les frapper. Et en premier lieu les pauvres, comme le montre la gestion « sociale » dans les mairies dirigées par le FN, qui se résume en une série de suppressions d’aides aux plus démunis, tels que les familles dans lesquelles un ou deux parents se retrouvent au chômage. Ce dernier exemple montre donc que le « social » est mobilisé par le Front national non pas dans une logique d’émancipation, mais aux fins de stigmatisation des pauvres, notamment lorsqu’ils se trouvent être étrangers ou d’origine maghrébine, subsaharienne ou rom.
Lorsque Marine Le Pen parle de la suppression de l’Aide médicale d’Etat pour rétablir les comptes sociaux, peut-être serait-il utile de rappeler que cette suppression serait non seulement bien évidemment une abomination morale mais également coûteuse, puisque favorisant le développement des pathologies lourdes et la propagation des maladies (principe de base en médecine…). Toute à son obsession raciste et xénophobe, Marine Le Pen, de la santé à l’Ecole, en passant par l’ordre public voire la météo, apporte une unique solution aux problématiques qui se posent à notre pays: frapper les étrangers et leurs enfants.
Lorsque Marine Le Pen explique qu’il faut arrêter l’immigration sous le prétexte qu’il y aurait des terroristes parmi les immigrés, peut-être serait-il utile de lui demander si elle veut aussi arrêter le tourisme, vu qu’une des dernières attaques terroristes (celle survenue au Carrousel du Louvre) a été commise par une personne entrée en France avec un visa touristique.
Lorsque Marine Le Pen explique que la laïcité n’a été contestée par personne dans notre pays pendant un siècle et qu’elle l’est aujourd’hui par les musulmans, peut-être serait-il utile de lui rappeler – ce qui fut fait – que l’immense majorité des musulmans adhère au principe de la laïcité mais également qu’elle réécrit l’Histoire. En effet, la laïcité a été supprimée et contestée. Supprimée par le régime de Vichy entre 1940 et 1944, régime dont sont issus les cadres fondateurs de ce parti. Et contestée – en fait jamais appliquée – dans le système colonial, notamment dans une Algérie française où elle fut refusée à celles et ceux – « musulmans d’Algérie » – qui en demandaient le bénéfice. Et à nouveau, c’est bien l’extrême-droite, dont l’Algérie française est la 2ème mamelle dans notre pays à côté de celle de Vichy – qui fut la plus virulente dans ce grand refus de la laïcité aux musulmans.
Lorsque Marine Le Pen essaie de comparer le Frexit qu’elle appelle de ses vœux au Brexit en cours, peut-être serait-il utile de rappeler que la Grande-Bretagne a gardé sa monnaie (la livre sterling) et que le Brexit n’implique donc pas de sortie de l’euro. Peut-être faudrait-il également rappeler que la Grande-Bretagne est une terre de libéralisme que la candidate d’extrême-droite prétend pourtant honnir.
Lorsque Marine Le Pen exhibe un graphique – volontairement trompeur – sur le décrochage industriel de la France face à l’Allemagne, peut-être serait-il utile de rappeler trois points. Premièrement, l’Allemagne a adopté des stratégies industrielles particulières qui n’ont qu’un lointain rapport avec l’Euro. Deuxièmement, l’Allemagne a appliqué une politique de déflation salariale interne que Marine Le Pen prétend exécrer. Troisièmement, l’Allemagne, dans ses politiques économiques suivies, a adopté une logique non-coopérative bien éloignée des règles européennes qui auraient dû l’amener à opérer une relance afin de diminuer son solde extérieur. Bref, c’est bien la pleine application de l’esprit des traités qui devrait concentrer les efforts des responsables politiques français et non la casse de l’Europe.
Bref, si les débats ne doivent pas tourner autour de Marine Le Pen, davantage de punchlines et de références éthiques (la liste pourrait être longue) seraient bienvenus d’ici au premier tour de l’élection présidentielle. Car non, décidément, le Front national n’est pas un parti comme les autres. Et, non, les candidats ne doivent pas être tétanisés face à cette candidate dont la banalisation dans notre vie politique depuis quelques années l’amène aujourd’hui à des scores inégalés, alors que ce parti stagna électoralement entre 1988 et 2012.
Par Dominique SOPO
Président de SOS Racisme
Tribune publiée le 22 mars 2017 dans Le Huffington Post