3 janvier 1919 : l’accord Fayçal-Weizmann et l’espoir naissant d’une coopération judéo-arabe
En ce début de 20ème siècle, l’Empire Ottoman, qui compta jusqu’à 35 millions d’habitants et qui s’étendait sur plus de 5 millions de km2 est depuis longtemps sur le déclin. Ce bloc, qui domina non seulement la Turquie mais également l’ensemble des rives sud et est de la Méditerranée ainsi que les Balkans, est en plein reflux. Tandis que ses parties européennes ont été perdues au 19ème siècle, c’est toute la rive sud de la Méditerranée qui lui échappe au tournant du 19ème et du 20ème siècle, sous l’effet notamment du colonialisme européen.
La Grande révolte arabe de 1916-1918
En s’alliant à l’Allemagne lors de la Première Guerre Mondiale, l’Empire Ottoman va bientôt se trouver dans le camp des vaincus. Poursuivant sa lente décomposition, cet Empire est soumis à la Grande Révolte arabe qui, avec le soutien des puissances occidentales opposées à l’Allemagne et plus particulièrement de la Grande-Bretagne, est menée par le chérif de la Mecque, Hussein Ben Ali. Le but de cette grande révolte où s’illustre également l’officier britannique Thomas Edward Lawrence (« Lawrence d’Arabie ») : se libérer de la tutelle ottomane et créer un grand Etat arabe qui s’étendrait d’ « Aden à Alep », autrement dit toutes les terres arabes de l’Empire Ottoman.
Le 30 octobre 1918 est signé l’armistice de Moudros. Sous les coups conjugués des puissances occidentales et des troupes arabes notamment menées par l’émir Fayçal Ibn Hussein, le fils du chérif, l’Empire Ottoman doit capituler et renoncer à ses territoires hors de l’Anatolie (actuelle Turquie).
La déclaration Balfour de 1917
Parallèlement à ce « réveil arabe », le mouvement sioniste voit également ses espoirs avancer. Le 2 novembre 1917, lord Arthur Balfour, secrétaire d’Etat britannique aux Affaires Etrangères, communique une lettre ouverte à William Walter Rothschild, figure importante du mouvement sioniste mondial. Connue sous l’expression de «Déclaration Balfour», cette lettre indique la sympathie du gouvernement britannique pour l’établissement d’un foyer national juif en Palestine. Il y est ainsi spécifié que «le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays».
L’accord Fayçal-Weizmann de 1919
Les nationalismes arabe et juif semblent donc avoir un intérêt commun : celui de s’allier pour mettre fin à l’emprise ottomane sur des territoires convoités. C’est ainsi que se déroule en juin 1918 une rencontre entre Fayçal Ibn Hussein, auréolé de son rôle majeur dans la Grande révolte arabe, et Chaïm Weizmann, qui deviendra le président de l’Organisation Sioniste Mondiale à partir de 1921.
Le 3 juin 1919, Fayçal Ibn Hussein et Chaïm Weizmann signent l’accord Fayçal-Weizmann. Cet accord marque l’approbation de l’émir pour les termes de la déclaration Balfour et, malgré le caractère très général des termes employés (quelles limites géographiques ? quelle organisation politique ?), pose les jalons d’une coopération entre les Juifs et les Arabes au Proche-Orient.
Un accord qui restera lettre morte
Mais l’émir Fayçal mit une condition à la validité de cet accord : que la grande nation arabe soit formée. Or, malgré les espoirs de voir ce projet se réaliser, la grande nation arabe ne verra jamais le jour. En effet, placés sous les mandats britannique et français suite à la conférence de San Remo d’avril 1920 et au Traité de Sèvres d’août 1920, les territoires arabes anciennement sous le contrôle de l’Empire Ottoman ne seront jamais réunifiés. Ayant récupéré le mandat sur la Syrie et le Liban, les Français chassent l’émir Fayçal de Damas (qui aurait dû devenir la capitale de la grande nation arabe) en 1920. L’émir Fayçal, éphémère roi de Syrie, sera finalement placé sur le trône d’Irak par les Anglais à partir de 1921. Quant à son frère, les Anglais le placent sur le trône de Transjordanie (qui deviendra la Jordanie) où il régnera sous le nom d’Abdallah 1er. Divisés au sein et entre les mandats britannique et français, les territoires arabes ne pourront pas se réunifier. En outre, à partir de 1924, le chérif de la Mecque perd son trône de roi du Hedjaz sous les assauts d’Ibn Séoud, qui fondera le royaume d’Arabie Saoudite.
Quant à la Palestine, placée sous mandat britannique, elle entrera dans une période de tensions et de troubles qui déchireront le début de coopération que l’accord de 1919 laissait entrevoir. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, les Britanniques, dont la devise constante avant-guerre semble avoir été « diviser pour régner », remettent leur mandat à l’ONU. Le plan de partage de la Palestine entre l’Etat d’Israël et l’Etat palestinien sera refusé par les Etats arabes et déclenchera une série de guerres israélo-arabes entre 1948 et 1982. Occupés respectivement par l’Egypte et la Jordanie après la guerre de 1948, Gaza et la Cisjordanie le seront par Israël à partir de 1967. C’est dans ce cadre que monteront en puissance les revendications palestiniennes toujours insatisfaites.
Près d’un siècle après l’accord Fayçal-Weizmann, la coopération judéo-arabe reste une perspective à écrire au Proche-Orient.
Fayçal Ibn Hussein, né le 20 mai 1885, est le troisième fils du Chérif de la Mecque : Hussein Ben Ali. Il fait partie des Hachémites, ce qui fait de lui un membre de la famille du prophète Mohammed. Il participa, aux côtés de son père et de son frère, à la grande révolte arabe (1916-1918) contre l’Empire ottoman. A l’issue de cet affrontement qui tournera en faveur de l’Occident et de ses alliés, Fayçal deviendra roi de Syrie du 7 mars au 27 juillet 1920. Le 25 avril 1920, la Syrie est placée sous mandat français et il sera forcé à l’exil. Cependant, les Britanniques le placent sur le trône d’Irak en 1921, le faisant premier roi d’Irak. Fayçal est un fervent nationaliste arabe qui souhaite unir tous les Arabes sous la bannière d’une seule nation. En 1919, il accepte les termes de la déclaration Balfour et signe, avec Chaim Weizmann, représentant de l’Organisation sioniste mondiale, l’accord Fayçal-Weizmann visant à régir les relations entre Juifs et Arabes au Moyen-Orient.
Scientifique de renom international, Weizmann (1874-1952) est surtout célèbre pour son engagement politique. A partir de 1914, en tant que membre important de l’Organisation sioniste mondiale, il prend part aux négociations qui aboutissent à la déclaration Balfour par laquelle le gouvernement britannique promet de créer un foyer national juif en Palestine. Installé à Jérusalem, il se rend en Transjordanie en juin 1918 pour rencontrer Fayçal et discuter d’une coopération entre Juifs et Arabes. Après une nouvelle rencontre en janvier 1919, il signe avec lui l’accord Fayçal-Weizmann. En 1921, il devient président de l’Organisation sioniste mondiale et monte la même année le projet d’université de Jérusalem avec Albert Einstein. En 1929, il devient le président de l’Agence juive. En 1948, suite à la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël, il en devient le premier président.