« Il est impératif de mettre le gouvernement putschiste soudanais au ban des nations » (Le Monde, 2 novembre 2021)
Malgré la répression, la société civile continue sa résistance au coup d’Etat militaire du général Al-Bourhane. Une tribune au « Monde », le 2 novembre 2021, appellant à des sanctions internationales.
Au Soudan, le coup d’Etat militaire dirigé par le général Al-Bourhane vient de mettre un terme brutal à la période de transition ouverte par la mise à l’écart du dictateur islamo-militaire Omar Al-Bachir le 11 avril 2019. La mobilisation impressionnante des citoyens, qui avait paralysé le pays pendant des mois, avait alors incité l’armée à reprendre à son compte les exigences exprimées de changement de régime, de pain et de liberté de manifestation.
Omar Al-Bachir est tombé, renversé par les siens, ceux-là mêmes, qui ont peu ou prou participé aux exactions commises au Darfour, dans les monts Nouba ou au Nil Bleu et qui ont largement bénéficié du système de prédation de la richesse publique du pays.
Tirs meurtriers
Ce compromis d’un gouvernement de transition civil et militaire, dirigé par le premier ministre Abdallah Hamdok, mais chapeauté par un Conseil de souveraineté, dominé par l’armée, a fait long feu. Les masques sont tombés. Le général Al-Bourhane, président de ce Conseil, a pris le pouvoir le 24 octobre, avec comme complice le vice-président, le colonel Hemetti, chef des sinistres janjawids, rebaptisés Forces de soutien rapide. Tous deux impliqués jusqu’à peu dans les crimes de masse commis au Darfour, puis dans les massacres de manifestants pacifiques de 2019 et enfin dans la répression actuelle.
Al-Bourhane prétend « rectifier le cours de la transition » et repousser les élections initialement prévues pour 2022. L’état d’urgence a été proclamé, l’Internet coupé et les arrestations se sont multipliées. Des manifestations spontanées contre le putsch ont lieu dans tout le pays, brutalement réprimées par des tirs meurtriers. Les partisans d’un gouvernement civil appellent à un mouvement de désobéissance civile.
Le pays, économiquement exsangue, a besoin d’aide financière urgente et de coopération internationale. Pourtant, l’armée préserve ses puissants intérêts économiques, alors que ses comptes échappent à la supervision du ministère des finances et ont bénéficié d’une incroyable progression de 34 à 50 milliards de dollars (environ 29 à 43 milliards d’euros) pour l’année 2020, obtenue au prétexte d’un « budget de paix ».
Le Soudan sort d’une longue période de marginalisation internationale en raison de ses liens avec le terrorisme, notamment islamiste, symbolisé d’abord par l’accueil de Ben Laden ou de Carlos, puis par le soutien à des groupes comme la Séléka de République centrafricaine, Boko Haram, les Shebab somaliens ou les groupes djihadistes en Libye.
Minni Minawi ou Djibril Ibrahim
Beaucoup de cadres de ces mouvements ont été formés à Khartoum au sein de l’Université internationale d’Afrique. La plupart des officiers supérieurs soudanais ont été impliqués dans l’appui à ces groupes. L’Arabie saoudite arrose l’état-major pour qu’il continue à envoyer des troupes au Yémen. C’est cette caste militaire qui vient de se réapproprier tout le pouvoir.
Le projet de transférer Omar Al-Bachir à La Haye devant la Cour pénale internationale pour répondre des crimes de génocide et de crimes contre l’humanité, commis sous ses ordres au Darfour, risque d’être abandonné. Son procès aurait donné lieu à un grand déballage concernant le rôle actif de nombreux membres du Conseil de souveraineté.
Dès lors, la responsabilité des pays démocratiques est grande pour entraver l’action des putschistes. Il faut bien sûr condamner la destitution et l’arrestation des ministres civils et exiger la pleine liberté du premier ministre Hamdok, comme l’a déjà fait le président Macron. Il avait d’ailleurs reçu ce dernier à l’Elysée en septembre 2019, l’assurant du soutien de la France et annonçant qu’elle allait « porter son appui [au Soudan] à un niveau inédit ». Il avait été précisé que « l’Agence française de développement mobilisera[it] une enveloppe de 60 millions d’euros pour accompagner la transition ».
Mais il faut aller plus loin et faire jouer les pressions diplomatiques pour ne pas reconnaître un quelconque nouveau gouvernement inféodé aux militaires, même s’il inclut quelques civils aux ordres ou d’anciens chefs rebelles avides de pouvoir et de prébendes comme Minni Minawi, ex-ministre des finances, connu pour ses nombreux revirements, ou encore Djibril Ibrahim, chef d’un groupe aux accointances islamistes notoires, devenu gouverneur du Darfour.
Pas de paix sans justice
Il faut aussi s’assurer de la liberté et de l’intégrité physique des nombreuses personnalités politiques et de la société civile, menacées par la répression.
Ce gouvernement putschiste ne doit bénéficier d’aucun soutien. Il est impératif de le mettre au ban des nations. Il faut lui refuser tout appui financier. Le président Macron pourrait proposer à la Communauté européenne et aux autres nations démocratiques d’adopter de telles sanctions.
Le coup d’arrêt porté par l’armée au « printemps arabe » du Soudan a déjà comme effet d’entraver le rapprochement de ce pays avec les Occidentaux. Nul doute, malheureusement, que cette situation sera mise à profit par ceux qui ont sans sourciller soutenu le régime génocidaire d’Omar Al-Bachir : l’Arabie saoudite et le Qatar, ainsi que la Russie, la Chine et la Turquie, sans oublier l’Egypte du président Al-Sissi qui pourrait servir de modèle aux nouveaux maîtres de Khartoum, s’ils devaient conserver le pouvoir.
Il n’y aura pas de paix sans justice au Soudan. Il n’y aura pas de développement dans le pays sans un gouvernement civil et une épuration de l’armée de ses éléments islamistes et criminels. Les convictions démocratiques de la communauté internationale seront déterminantes.
Les signataires : Jacky Mamou, président du Collectif Urgence Darfour ; Bernard Schalscha, éditorialiste à la revue « La Règle du jeu » ; Dominique Sopo, président de SOS-Racisme ; Ilana Soskin, avocate, déléguée du Collectif Urgence Darfour ; Mario Stasi, président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) ; François Zimeray, ancien ambassadeur de France pour les droits de l’homme.