Second tour de l’élection présidentielle : le soulagement et l’inquiétude
La réélection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République sonne comme un soulagement tant Marine Le Pen, son adversaire d’extrême-droite que nous avions appelé à faire battre, représentait un danger mortel pour la démocratie et le vivre-ensemble.
Le programme contre-révolutionnaire, raciste et violemment antidémocratique porté par la candidate du RN promettait, malgré toutes les tentatives de banalisation, la promesse de la mise en œuvre du programme historique du Front national de Jean-Marie Le Pen.
A cet égard, l’absence de consignes claires données par plusieurs candidats battus au premier tour de l’élection présidentielle était en soi une faute car le barrage à l’extrême-droite ne se mégote pas, ni ne se négocie. C’est d’ailleurs cette absence de clarté qui a contribué à permettre à Marine Le Pen d’atteindre un score jamais atteint dans les urnes par l’extrême-droite. En effet, c’est donc plus de 40% des électeurs qui ont exprimé un choix entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen qui ont glissé le bulletin de la candidate d’extrême-droite dans l’urne.
Cette victoire, qu’une analyse sommaire pourrait faire apparaître comme large, n’est pas tant une victoire qu’un soulagement. La réalité, c’est que Marine Le Pen – malgré son pédigree, son programme, son entourage et sa manifeste incompétence – a progressé d’environ 8 points en 5 ans. La réalité, c’est que le pari et la promesse d’Emmanuel Macron en 2017 – faire refluer l’extrême-droite – n’ont pas été atteints.
Cette victoire a le goût amer d’un quinquennat qui n’aura pas posé les conditions d’un sursaut en faveur de la République, à force d’arrogance, de libéralisme, de brutalisation du mouvement social et de clins d’œil à l’extrême-droite. Confronté à une abstention massive chez celles et ceux qui avaient le plus à perdre de l’élection de Marine Le Pen, Emmanuel Macron ferait bien de s’en souvenir dans les politiques et les positionnements qui seront les siens lors de son second quinquennat. Il n’est définitiement pas neutre de contribuer à banaliser l’extrême-droite en la « choisissant » comme son opposition et en faisant à son égard des clins d’œil appuyés, que ce soit en mettant en scène des proximités avec Philippe de Villiers ou Eric Zemmour, en lui offrant des « os à ronger » législatifs, à l’exemple de la loi contre le séparatisme ou en envoyant ses ministres nourrir des polémiques insensées sur le « wokisme » ou l’ « islamo-gauchisme ».
Mais, au-delà de ces choix passés et futurs du président de la République, cette victoire a le goût amer de l’aboutissement d’un discours qui s’est installé depuis 2002 (présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection et présidentielle) et encore plus depuis 2011 (accès de Marine Le Pen à la présidence du Front national) : celui d’une haine de l’antiracisme et donc d’une légitimation croissante des discours d’affrontement aux dynamiques de lutte conte le racisme, de refus des discriminations et de souci porté aux conditions de vie des quartiers populaires. Ce discours a débuté par l’accompagnement de la banalisation du FN/RN et de Marine Le Pen à l’égard desquels nous avons été sommés de ne plus porter la critique de leur racisme, de leur antisémitisme, de leurs filiations et de leurs accointances.
Ce discours, qui a gangréné une part croissante de la vie politique française – y compris à gauche – sous le couvert de l’invocation d’une laïcité et de valeurs républicaines dévoyées, montre aujourd’hui ses effets : ils sont catastrophiques. Ces derniers jours, il était d’ailleurs assez pathétique de voir ces « banalisateurs » en chef – souvent une bourgeoisie inquiète de ses positions sociales face à la « montée en puissance » des populations d’origine maghrébine et subsaharienne – crier au danger d’une extrême-droite qu’ils ont tant aidée en contribuant à désarmer et à délégitimer celles et ceux qui lui résistaient.
Cet accompagnement politique, intellectuel et médiatique de la banalisation de Marine Le Pen, sous le prétexte de l’inefficacité du discours « moralisateur » de l’antiracisme, montre tous ses effets : en 2002, l’extrême-droite réalisait 18% au second tour de l’election présidentielle. En 2022, après 20 ans de ce discours mortifère, ce camp politique réunit plus de 40% des suffrages.
Au-delà, ce résultat sonne pour nous comme une évidence : la nécessité de toujours dénoncer le racisme, la haine, les inégalités. Et la nécessité de construire les rapports de force, les alliances et les discours pour porter ces exigences.
En ce moment où l’extrême-droite semble s’installer comme une force d’alternance dans notre pays, nous avons plus que jamais besoin des énergies, de l’investissement, de l’intelligence et de la mobilisation de toutes celles et tous ceux qui sont attachés à une éthique antiraciste.