Le 3 décembre, l’Assemblée nationale sera invitée à se prononcer sur la proposition de résolution n°2403 visant à lutter contre l’antisémitisme.
SOS Racisme s’inquiète de cette proposition qui, au-delà du fait qu’elle ne semble pas de nature à favoriser la nécessaire lutte contre l’antisémitisme, comporte des dangers qui ne sauraient être négligés.
Cette proposition reprend la définition de la très sérieuse Alliance Internationale pour la Mémoire de l’Holocauste (IHRA) selon laquelle « l’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte. »
SOS Racisme, sans doute à l’instar de nombreuses personnes et organisations qui luttent avec sérieux contre le racisme et l’antisémitisme, ne peut qu’adhérer à cette claire et pédagogique définition.
1/ Mais, si cette proposition de résolution s’appuie sur la définition de l’IHRA, c’est bien évidemment dans le but d’aller plus loin, sans quoi cette proposition serait finalement sans objet. En effet, la définition de l’IHRA, dont la version « de travail » était associée à des exemples incluant des manifestations d’antisémitisme se camouflant derrière une expression formellement antisioniste, a été saisie comme un moyen de faire entrer dans le droit positif et dans le discours public une équivalence principielle entre antisémitisme et antisionisme.
L’antisionisme peut-il être un masque de l’antisémitisme ? Incontestablement, et ce d’autant plus depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948. Il n’est en effet pas identique de critiquer le projet de création de l’Etat d’Israël – position d’ailleurs prise par de nombreux Juifs avant 1948 – et d’appeler à la disparition de ce même Etat, attitude qui serait la définition de l’antisionisme au sens le plus fort et le plus exact du terme.
Cependant, l’utilisation élastique des concepts de sionisme et d’antisionisme dans les espaces politique, militant et médiatique pose d’emblée la question de la portée donnée à cette équivalence.
2/ En outre, en invitant « le Gouvernement, dans un travail de pédagogie, à diffuser » la définition de l’IHRA « auprès des services éducatifs, répressifs et judiciaires », la proposition pose plusieurs problèmes.
Premièrement, cette formulation laisserait croire qu’il serait nécessaire que le Gouvernement diffuse une définition – somme toute assez banale – de l’antisémitisme afin d’améliorer la lutte contre ce fléau. Qui peut croire que les « services éducatifs, répressifs et judiciaires » ne sont pas conscients que « l’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte. » ? Si cette proposition vise notamment à rassurer en France des Juifs inquiets par la montée des expressions de l’antisémitisme, il n’est pas sûr que la bonne méthode soit de laisser penser que la lutte contre l’antisémitisme serait dans notre pays à un tel niveau d’indigence qu’il faille rappeler la définition de l’antisémitisme à celles et ceux en charge de le combattre. Alors qu’il serait bien plus utile de le mettre en valeur, la proposition semble faire fi du travail remarquable réalisé par de nombreux acteurs en matière de sensibilisation à la lutte contre l’antisémitisme. Qu’il s’agisse des formations et interventions dispensées par le Mémorial de la Shoah, la DILCRAH ou les associations antiracistes et d’éducation populaire, il est usuel de travailler sur ce qui, dans la critique principielle et obsessionnelle de l’Etat d’Israël, peut relever de l’antisémitisme. Qu’apporte donc cette proposition ?
Deuxièmement, les « services éducatifs » ont une certaine faculté à travailler sur les concepts. C’est d’ailleurs une de leurs fonctions essentielles. Penser que ces services aient besoin d’une définition de l’antisémitisme venue du Parlement afin de les « orienter » relève d’une forte maladresse à l’égard du corps enseignant dont il n’est pas infondé de penser qu’il se projette au-delà de l’apprentissage d’une définition et se nourrit des analyses et des expériences venues du monde universitaire, des associations ou des pouvoirs publics.
Troisièmement, que signifie la diffusion de cette définition auprès « des services répressifs et judiciaires » ? S’agit-il de vouloir peser sur une jurisprudence jugée trop laxiste ? Pourtant, la justice française a une certaine capacité à repérer l’antisémitisme de ceux qui veulent dire « Juifs » lorsqu’ils crient « sionistes ». C’est ainsi que, en juillet dernier, un manifestant qui avait pris très violemment à partie Alain Finkielkraut a été, à juste titre, condamné pour des injures antisémites qui se camouflaient derrière un vocabulaire formellement « antisioniste ». A contrario, quels actes dont l’antisémitisme était caché derrière l’antisionisme auraient mérité une condamnation qui n’a pas été prononcée ?
3/ Enfin, cette proposition intervient dans un contexte de tensions extrêmes dans notre pays au sein duquel les éclatements – qu’ils viennent de la peur, de la haine ou d’une conception du monde – semblent être nourris d’une dynamique plus forte que celle des alliances, des mélanges, des regroupements. Faire voter une résolution spécifique sur la définition de l’antisémitisme posera inévitablement la question de la promotion de propositions de résolutions relatives à la définition d’autres formes de haine. Repoussera-t-on ces propositions en allant sur le très glissant terrain qui consisterait à affirmer que l’expression de l’antisémitisme serait plus intense que celle des autres formes de racisme ? Ou les acceptera-t-on au risque de faire éclater en une myriade d’intérêts particuliers une lutte antiraciste que la République devrait sans cesse approcher dans une dynamique universaliste ?
Il est très positif que l’Assemblée nationale s’intéresse à la lutte contre les haines racistes et antisémites. Mais, pour ce faire, elle dispose d’une procédure bien mieux adaptée qu’une résolution problématique : la mise en place d’une mission d’information sur la permanence et l’évolution des formes de racisme, d’antisémitisme et de discriminations dans notre pays. Une telle mission aurait en outre l’intérêt d’entendre des experts et des acteurs de la société civile engagés sur ce terrain et pourrait déboucher sur des préconisations fortes en matière de politiques publiques.