La France doit ouvrir ses portes aux femmes et aux défenseurs des droits de l’Homme venus d’Afghanistan
Après une offensive éclair qui a provoqué l’effondrement du pouvoir officiel de l’Afghanistan, les talibans ont forcé les portes de Kaboul. Alors que les dernières troupes américaines, diplomates et ressortissants occidentaux quittent le pays dans la précipitation, la prise du pouvoir par les talibans est une réalité à laquelle ne manque que son officialisation imminente.
Depuis la fin mai, les affrontements entre le pouvoir représenté par Ashraf Ghani, le président désormais en fuite, et les talibans a causé la mort de plusieurs centaines de civils tandis que plusieurs centaines de milliers d’entre eux ont été déplacés, dont 80% de femmes et d’enfants.
Évidence confirmée s’il en était besoin par les ONG et le HCR, les femmes sont les plus menacées et les principales cibles des talibans, dont tous les efforts sont tendus vers le rétablissement de l’Émirat islamique d’Afghanistan.
Car oui, ce sont bien les femmes qui ont le plus à craindre de la reprise du pays par ces fondamentalistes armés agissant au nom d’une conception dévoyée de l’Islam. Après avoir pu bénéficier dans les principaux centres urbains de deux décennies où elles purent mener des études, exercer une activité professionnelle jusque dans les emplois les plus éminents, sortir dans la rue sans chaperon ou bénéficier d’une relative liberté vestimentaire, nous savons que, pour elles, la prise du pouvoir par les talibans est la garantie du retour à une mort sociale.
Condamnées à disparaître de l’espace professionnel et de la sphère politique, expulsées des écoles et amenées à ne plus apparaître dans l’espace public que sporadiquement et au prix de l’effacement funeste de leurs visages, les femmes risquent plus que cette mort sociale totale que nous évoquions. Elles risquent la mort physique lorsque, à nouveau, c’est le fouet et la lapidation qui seront appliqués à celles suspectées d’avoir commis un adultère.
Cette réalité talibane, alliée aux conservatismes de la société afghane, ont d’ailleurs fait dire il y a peu à Fawzia Koofi, féministe et vice-présidente de l’Assemblée nationale afghane, que l’Afghanistan était « le pire pays du monde où naître pour une fille ».
Ces femmes, parce que femmes, et leurs enfants, sont en danger. Imminent. Nous le savons toutes et tous.
En ces heures où il est question des responsabilités des uns et des autres dans l’effondrement du pouvoir afghan au profit des talibans, nous voudrions que les énergies et les attentions se concentrent sans faiblir sur le drame humanitaire qui se joue pour ces femmes.
Car, s’il est sans doute intéressant d’interroger la responsabilité – évidente – des Etats-Unis dans ce chaos et celle – tout aussi évidente – d’un pouvoir afghan prévaricateur qui a abandonné toute résistance devant l’offensive des talibans, cela ne doit en rien mener à détourner opportunément le regard des urgents impératifs humains.
Envisager une résistance face à la réalité talibane, c’est aussi signifier aux nouveaux maîtres de Kaboul que les femmes ne seront pas des corps captifs, assignées à un territoire et donc livrées aux humiliations et à l’absence de droits. C’est signifier à ces nouveaux maîtres – que l’on peut espérer de passage – que leur autorité, dans un monde ouvert, ne peut pleinement se déployer dans la souveraineté sans limite dont ils rêvent : la souveraineté sur le corps des femmes.
Nous appelons la France à envoyer le signal fort d’un large accueil de réfugiés afghans sur notre territoire, à l’instar de ce que le Canada a récemment annoncé. Au-delà, nous appelons la France à mettre tout en œuvre pour que l’ensemble de la communauté internationale puisse prendre sa part dans l’accueil des civils en danger, et notamment des femmes et de leurs enfants. Bien évidemment, si les populations menacées souhaitent s’installer dans les zones périphériques de l’Afghanistan, cette même communauté internationale doit veiller à en assurer la protection effective en ces lieux.
Cet appel est en réalité un simple rappel. Le rappel à respecter, sans atermoiement et sans cynisme, la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles, ainsi que les conventions des Nations Unies et déclarations du Conseil de l’Europe sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Si la diplomatie française tout autant que les citoyens français pèsent bien peu sur les dimensions géopolitiques et militaires du conflit afghan, il est une chose qui relève de notre champ de compétence, d’honneur et de bataille : la solidarité internationale alors qu’une population est ciblée méthodiquement et promise aux pires violences.
Dans la torpeur de l’été, nous appelons, en France, ici et maintenant, à un grand élan d’accueil et de protection de ces femmes en péril. Bien évidemment, cet appel doit être entendu au sens large comme un appel à protéger toutes celles et tous ceux que le nouveau pouvoir afghan menace de mort. C’est ainsi que la France s’honorerait de protéger également les défenseurs des droits de l’Homme et ceux qui, par leur art, par l’exercice du droit ou pour avoir accepté de promouvoir l’émancipation des femmes, sont exposés aux sévices et à la mort.
Il en va de notre humanité et de la cohérence dans notre combat contre l’obscurantisme.