La violence des propos de Marine Le Pen sur le Vel d’Hiv n’est ni un hasard, ni un dérapage
Marine Le Pen révèle qu’elle demeure dans la filiation de l’extrême-droite nostalgique du vichysme.
Pour Marine Le Pen, héritière d’un cloaque bâti sur les décombres de Vichy et de l’OAS, c’est entendu: la France n’est pas responsable de la rafle qui, à Paris le 16 juillet 1942, conduisit au Vel’ d’Hiv 13.152 juifs dont 4.115 enfants. Après plusieurs jours d’épouvante, ces personnes qui n’avaient pour seul tort que d’être juives, furent déportées vers le camp d’extermination d’Auschwitz, d’où seules quelques dizaines devaient revenir.
René Bousquet, secrétaire général de la police nationale, supervisait l’opération. Des gendarmes français en furent les exécutants, assistés d’entreprises de transport françaises par leurs propriétaires et leurs personnels. Le régime de Vichy, sous l’autorité duquel furent menés ce crime antisémite et la participation à la Shoah, était dirigé par le maréchal Pétain, qui, à ce que l’on ne sache, ne détenait aucune autre nationalité que celle de notre pays.
Si beaucoup de Français s’en indignèrent et se mobilisèrent contre, le climat d’antisémitisme qui régnait alors en France n’en était pas moins le résultat de processus propres à notre pays. Des processus qui produisirent leurs effets lors de l’affaire Dreyfus, lors des attaques contre le dirigeant du Front populaire Léon Blum, qui reçut d’ailleurs des crachats à Vichy sans qu’aucune arme allemande n’ait eu à menacer au préalable les lanceurs de salive.
Alors, ce crime, oui, implique la France. Reconnaître cette évidence qui émergea lentement du mythe résistantialiste ne renvoie à aucun dénigrement de la France. Tout au contraire, aimer la France, c’est l’aimer lorsqu’elle est fidèle à ce qu’elle a produit de plus éclatant pour combattre ses propres démons, ses propres failles et ses propres errements. Aimer la France, c’est aimer Voltaire, les révolutionnaires, Victor Hugo, Victor Schœlcher, Emile Zola, Joséphine Baker, Félix Eboué, Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Et contre qui ou quoi luttèrent les héros de notre Panthéon mental si ce n’est le cléricalisme, l’arbitraire, l’injustice, le racisme, l’antisémitisme, l’esprit de la Collaboration qui sévirent et continuent à sévir à l’occasion dans notre pays? Ils avaient raison de mener ces luttes! Sauf à penser que les victimes des bûchers et autres tortures légales de l’Ancien régime, que les victimes du colonialisme et de l’esclavage, que les victimes juives de la Shoah devraient être considérées comme porteuses d’une douleur illégitime si ce n’est feinte. C’est peut-être cela finalement qui trace le mieux une frontière infranchissable entre l’extrême-droite et le reste de l’arc politique: insulter les douleurs des victimes pour plaindre celle des bourreaux et des complaisants. Bref, c’est critiquer les douleurs des morts et des meurtris pour encenser celle des salauds qui s’appuie sur deux regrets: celui de ne plus pouvoir perpétrer le crime et celui d’avoir à en subir les conséquences symboliques, sociales ou judiciaires. À travers sa complainte tissée d’indécence et de haine, Marine Le Pen montre que l’extrême-droite plaint les miliciens et les collaborateurs. Celui qui aime la France plaint Jean Zay, Ferdinand Buisson, Jean Moulin et les dizaines de milliers de célèbres et d’anonymes qui finirent dans une chambre à gaz leur existence parfois à peine commencée.
La violence des propos de Marine Le Pen – qui fait écho à la violence de ses propos sur le colonialisme et l’esclavage – n’est ni un hasard, ni un dérapage. Elle est constitutive de l’antisémitisme dont elle a par simple stratégie essayé de se défaire. Stratégie déjà suivie par le père avant que l’affaire du « point de détail » ne ruinât ses grossiers efforts que l’évidence avait empêché qu’ils fussent couronnés de succès.
Là où le père avait déployé des efforts vains, la fille, depuis quelques années, a pourtant trouvé une complaisance à l’auto-récit de son refus de l’antisémitisme, qui ne semblait pourtant pas la gêner durant toutes les années où elle fut la première défenseure d’un père aux propos largement analysés à juste titre comme immondes.
Il faudra un jour étudier sereinement la phase de complaisance médiatique, intellectuelle et politique dont Marine Le Pen a bénéficié ces dernières années sur la question de l’antisémitisme. Car il ne s’agit pas ici de n’importe quelle complaisance, puisqu’il s’agit de celle qui contribue à faire sauter ce qu’elle et nous savons être un verrou – et c’est heureux! – à l’accès au pouvoir: l’antisémitisme et le rapport à Vichy.
Fallait-il être grand clerc pour se rendre compte que les laborieuses tentatives de Marine Le Pen pour décoller son image de cette haine et de ce rapport à l’Histoire ne signaient en rien une conversion éthique mais bien une stratégie? Fallait-il être grand clerc pour constater qu’une personne qui participe à un bal de néonazis à Vienne en 2012 – et ceci en toute connaissance de cause – entretient un rapport inadmissible à quelques sujets fondamentaux? Fallait-il être grand clerc pour tirer de l’analyse de son entourage proche – Frédéric Chatillon, l’admirateur de Mussolini ou encore Axel Loustau, celui qui pleure sur les réseaux sociaux le jour-anniversaire de la mort d’Adolf Hitler – que ce personnage cherchant névrotiquement à se « dédiaboliser » était précisément le diable?
Mais voilà donc que Marine Le Pen, dans un spasme langagier pavlovien, révèle cette fois-ci avec trop d’évidence qu’elle demeure dans la filiation de l’extrême-droite nostalgique du vichysme à qui elle doit par ailleurs régulièrement donner les signaux nécessaires pour montrer qu’elle en est toujours.
Au final, à toutes celles et ceux qui ont contribué à banaliser le Front national et sa présidente, une leçon constante doit être rappelée: banaliser un parti raciste et antisémite, c’est banaliser le racisme et l’antisémitisme.
Espérons que cette leçon, à l’aune des dernières déclarations de Marine Le Pen, ne soit pas oubliée par la fausse indignation de celle qui n’hésitera pas, une fois de plus, à exhiber ses mimiques de mauvaise comédienne de théâtre de boulevard.
Par Dominique SOPO
Président de SOS Racisme
Tribune publiée le 11 avril 2017 dans Le Huffington Post