Monsieur Juncker, rendez sa dignité à Léty !
Au cœur de l'Europe, une usine porcine est installée sur le site d'un camp de concentration. Il est du devoir de l'Union Européenne d'agir enfin pour mettre un terme à ce "locucide", ce crime contre le lieu.
Par Benjamin ABTAN
Membre du bureau national de SOS Racisme et Président du Mouvement antiraciste européen – EGAM
A Léty, en République Tchèque, le camp établi en 1939 pour y détenir différents types de prisonniers fut transformé en camp de concentration exclusivement pour Roms de juillet 1942 à sa fermeture en août 1943. Des centaines de Roms y ont été réduits à l’état de travailleurs forcés, sont morts sur place ou en déportation à Auschwitz-Birkenau.
Depuis 1973, une usine industrielle porcine fonctionne sur le site du camp. Cela signifie odeurs nauséabondes, ignorance de l’histoire du lieu, manque de recherche des restes des morts sur place, absence de sépultures,…
En peu de mots: souillure de la dignité des morts et des vivants.
Ce locucide résonne avec le génocide dont les Roms ont été victimes durant la Seconde guerre mondiale, le « Samudaripen ». Il fait écho aux persécutions et aux discriminations dont ils sont toujours les cibles aujourd’hui dans de nombreux pays d’Europe. Il symbolise le manque de connaissances relatives à ce pan de notre histoire. Alors que le drapeau européen est accroché aux grilles de l’usine, qui reçoit des subventions de l’UE, ce locucide est devenu le symbole de l’insoutenable indifférence des institutions publiques pour ces morts, les rescapés et leurs descendants.
Depuis plusieurs années, la société civile européenne, menée par le Mouvement antiraciste européen (EGAM) et ses partenaires en République Tchèque, s’est engagée pour restaurer la dignité qui sied au lieu et à l’histoire du Samudaripen.
Elle montre la voie à suivre: commémorations internationales mêlant Roms et non-Roms, recherches historiques, recueil de témoignages, transmission de l’histoire et de la mémoire du génocide, construction de mémorial digne,…
Les autorités tchèques successives n’ont cessé de promettre, depuis plus de trente ans, le déplacement de l’usine porcine. Or, celle-ci n’a jamais bougé. Uns stèle a été construite, mais sur les fosses communes, démultipliant ainsi la violence symbolique du lieu. Le Vice-Premier Ministre et ministre des Finances a même récemment publiquement nié la nature du camp de concentration, avant de devoir présenter ses excuses.
Le gouvernement tchèque évalue le coût de ce déplacement à entre 10 et 20 millions d’euros, autant dire une bagatelle pour les budgets de la République Tchèque et de l’Europe. Son manque de volonté, ou en tous cas d’action, ne peut plus durer.
L’engagement de l’Union Européenne est impératif. Il s’agit en effet d’un lieu d’un génocide perpétré en Europe, par des pays européens, contre des citoyens d’un pays européen, dans un camp de concentration construit par un pays européen, gardé par la police d’un pays européen. L’Europe ne peut décemment s’extraire de cette histoire.
C’est pourquoi nous vous demandons, Monsieur le Président, de ne pas renvoyer la responsabilité à d’autres et d’engager pleinement la Commission Européenne pour mettre un terme au locucide de Léty.
Avec la société civile européenne, nous sommes désireux de travailler avec vous en ce sens.
C’est une question de dignité. Pour les morts, pour les rescapés, pour leurs descendants, pour les Roms, pour tous. Pour l’Europe.
Lettre ouverte publiée le 30 septembre 2016 dans Le HuffingtonPost