Or, que nous disent les larmes d’inquiétude de ce vieil homme qui, à près de 22 heures, debout sur une place froide et humide, mal enrobé d’une mince couverture, confesse sa peur à cause de ses problèmes cardiaques ? Qu’aucune solution n’a été cherchée concernant la santé, de ce vieil homme comme de tous ceux, adultes et enfants en bas âge, qui se retrouvaient sur cette place mardi soir.
Que nous dit la présence de ces enfants, parlant parfaitement français, scolarisés dans leur immense majorité avec succès à Bobigny et qui se retrouvaient, à Paris pour un soir, assurément loin, très loin de leur école par la suite ? Qu’aucune solution n’a été cherchée quant à leur scolarisation. La meilleure des solutions, c’est-à-dire la poursuite de la scolarisation de ces enfants dans ce qui constitue bien, parfois depuis plusieurs années, leur école, a été détruite avec les pauvres habitations des familles.
Que nous dit l’attitude des représentants de l’Etat qui, peu avant d’envoyer, à la demande de la direction de l’hôpital, une nuée de CRS déloger les quelque cinquante Roms qui avaient espéré y trouver refuge pour la nuit, conseillaient d’aller chercher un logement dans une église, une mosquée ou une synagogue ? Qu’aucune solution de relogement n’a été prévue par l’Etat.
Le résultat de ces transgressions par le gouvernement de sa propre circulaire est simple : l’Etat français fait de ces Roms des vagabonds, ce dont on leur fera grief par la suite ; il pousse les enfants à la déscolarisation, ce qui sera dénoncé comme une preuve de leur fantasmée volonté de ne pas s’intégrer ; il dépense des sommes d’argent conséquentes, sans trouver de solutions, ce qui serait économe pour la collectivité et humainement digne pour les Roms. En effet, si, comme le dit le préfet de Seine-Saint-Denis dans une déclaration lourde de sous-entendus stéréotypés, «ils sont libres de circuler dans toute l’Europe», la France faisant partie de l’Europe, c’est ici qu’ils circuleront et construiront d’autres habitations de fortune là où ils le pourront. Le cycle construction/destruction de bidonvilles pourra alors se poursuivre indéfiniment.
En ne respectant pas sa propre circulaire, le gouvernement crée un problème qu’il évoquera comme justification de sa violente politique à l’encontre des Roms. Funeste retournement pervers, qui est la condition d’existence d’une politique qui s’inscrit dans la continuité de celle du pouvoir précédent.
Depuis 2012 en effet, il y a plus d’expulsions hors de France, plus d’évacuations de bidonvilles, et des conditions de vie plus difficiles pour les Roms en France. Les solutions, pourtant, existent. Notamment, de nombreux projets d’insertion sont menés avec succès et efficacité par des régions et des municipalités. Elles utilisent pour cela une petite partie des dizaines de millions d’euros du budget européen qui sont dédiés à la France pour de tels projets, et qui restent en grande partie à Bruxelles, non utilisés car non sollicités. Ces projets permettent pourtant à ces centaines de personnes de vivre dans de meilleures conditions tout en permettant à la collectivité de faire des économies.
Pour être mises en acte, ces solutions nécessitent deux éléments simples, qui aujourd’hui font cruellement défaut au gouvernement. Tout d’abord une volonté politique d’agir, non pas pour stigmatiser puis tirer bénéfice de cette stigmatisation, mais pour aider à l’insertion. Aussi et surtout, le respect par le gouvernement, enfin, de la loi.
Benjamin ABTAN (président du Mouvement antiraciste européen EGAM