18 janvier : journée mondiale du migrant et des réfugiés
Pour Eric Zemmour, ils constituent un danger en ce qu’ils ne peuvent qu’apporter le déclin.
Mais cet auguste penseur au ras du comptoir si brillant dans l’affirmation, pèche quelque peu dans la démonstration. A coups de chiffres de l’immigration erronés ou de brillantes prophéties telle celle-ci : « Nous aurons une finale Brésil-Argentine. l’Allemagne, elle ne gagnait que quand il n’y avait que des dolichocéphales blonds, maintenant il y a des turcs, etc…l’Allemagne métissée vantée par Cohn-Bendit elle ne gagnera pas la coupe du Monde ! ».
Pour ce Monsieur qu’importe l’exactitude, la seule réalité des chiffres digne de considération étant celle des ventes de son ouvrage. Après tout, les prophéties de Nostradamus, guère plus exactes, avaient rencontré également lors de leur parution, un grand succès en librairie.
Pour les Le Pen, père, fille, petite-fille et consorts, les migrants sont nécessairement liés à la délinquance. La réalité des chiffres et de leur analyse vient également fortement tempérer cette idée reçue. Pour ces Messieurs-dames qu’importe l’exactitude, seule la réalité des urnes compte. Et les peurs font d’excellents attrape-électeurs.
Fort heureusement, les Zemmour et les Le Pen sont tels les poissons volants : on sait qu’ils existent, mais ils ne représentent pas la majorité du genre.
Il est des femmes et des hommes pour encore penser sainement dans ce pays.
Pour réaliser que l’on ne quitte jamais son pays, son village, sa famille, ses racines, par gaieté de cœur mais poussé par une absolue nécessité et avec le secret espoir que l’on reviendra un jour.
Pour ne pas voir dans les migrants et les réfugiés, des profiteurs et de froids calculateurs à la quête d’un illusoire eldorado; mais des désespérés prêts à risquer leurs vies et préférant un avenir incertain à l’assurance d’un présent abominable. Qui oserait les en blâmer ?
Pour se dire que si des femmes, des hommes et des enfants de toutes conditions sociales acceptent de s’entasser dans un cargo de l’enfer et de remettre leur vie à des passeurs les traitant moins bien que du bétail, cela en dit long sur leur désespérance.
Dans l’un des cargos abandonnés récemment par leurs équipages, où subsistaient dans des conditions immondes, plusieurs centaines d’êtres humains, se trouvaient non pas ceux que d’aucuns décrivent caricaturalement et avec mépris comme des traîne-misère, mais des personnes de toutes classes sociales et de toutes conditions, notamment des ingénieurs, des avocats…fuyant l’extermination en Syrie. Devons-nous tous les retourner à l’expéditeur ?
Deux initiatives saines, méritent d’être saluées. L’une religieuse, l’autre laïque.
La première est celle de l’église catholique, laquelle célèbre chaque deuxième ou troisième dimanche de janvier, la journée mondiale du migrant et des réfugiés. Cette année ce sera le dimanche 18 janvier.
Il existe certes déjà une journée internationale des migrants (au mois de décembre) et une journée mondiale des réfugiés (au mois de juin), non connotées « catho ».
Mais abondance de bien ne nuit pas; et l’on ne doit pas se préoccuper des migrants une fois dans l’année uniquement parce que c’est le jour. Il s’agit d’un engagement permanent et même, de tous les instants. Ces bateaux ivres qui nous arrivent de l’autre côté de la Méditerranée nous le rappellent tragiquement, venant bousculer nos consciences en période de fêtes de fin d’année.
Le message du Pape François pour cette journée est le suivant : « A la mondialisation du phénomène migratoire, il faut répondre par la mondialisation de la charité et de la coopération, de manière à humaniser les conditions des migrants ». Le Pape souligne l’importance des migrants et des réfugiés: « vous avez une place spéciale dans le cœur de l’Eglise, et vous l’aidez à élargir les dimensions de son cœur pour manifester sa maternité envers la famille humaine toute entière ».
Reste aux fidèles à l’appliquer concrètement sur le terrain. Ou à quitter la religion par souci de cohérence !
Au-delà de l’Eglise, tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté peuvent se sentir concernés par ce message à dimension universelle, et sont inviter à passer d’une culture du rejet, à une culture de la rencontre.
A travers la rencontre, chaque personne se sent reconnue par une autre et c’est en ce sens que l’on peut dire que la rencontre « rend humain ». Que l’on dise que l’on a croisé quelqu’un que l’on connaît, ou que l’on a fait connaissance de quelqu’un, à travers la rencontre circule toujours de la reconnaissance.
A travers la rencontre, on « devient quelqu’un » pour l’autre et il « devient quelqu’un » pour nous. On peut affirmer que l’identité de chacun est façonnée par les rencontres réalisées. Chaque personne peut se dire et se façonner au travers de ses rencontres, tant il est vrai que l’on ne se construit jamais tout seul, mais à travers les autres.
La rencontre évoque la vie portée par chacun, elle la rend visible et vivante, elle la révèle.
Une belle expérience de rencontre –reconnaissance, et c’est là la seconde initiative que j’entends saluer ici-, est celle du « Goût de l’Autre ». Il s’agit d’un repas partagé, une fois par mois, entre français et étrangers, dans la mairie du 4ème arrondissement de Paris.
Un rendez-vous mensuel avec des personnes qui pour la plupart ne se connaissent pas, autour d’un repas où l’entrée et le dessert appartiennent à la cuisine française et le plat principal, à la cuisine d’un autre pays.
Cela signifie qu’à chaque fois, un Français et une personne étrangère préparent ensemble le repas.
Autour du goût des aliments, on partage ainsi le goût de la vie des uns et des autres. Il n’y a rien à prouver ni à démontrer dans ces repas, juste le plaisir de rencontrer des gens différents autour de saveurs nouvelles et mélangées.
Dans ces rencontres, chacun se sent reconnu, tantôt comme cuisinier, tantôt comme simple convive. La reconnaissance de chacun ne relève pas de ses papiers d’identité, mais du goût partagé.
L’une des personnes étrangères ayant participé à l’un de ces repas disait récemment qu’autour de la table du « Goût de l’autre », elle ne se sentait plus étrangère. Elle n’était plus une personne avec ou sans droit de séjour, elle prenait de l’existence grâce à la rencontre.
Ce repas donne à chacun, le droit et le goût d’exister.
A travers ces saveurs partagées, c’est toute la vie qui est évoquée. Derrière chaque plat, il y a une histoire et une géographie, des odeurs et des couleurs, des joies et des blessures.
Dans le « Goût de l’Autre », le repas rapproche, fait oublier la frontière entre Français et étranger, et en même temps il ouvre à des saveurs inconnues, à des plats jamais goûtés, à des vies jamais imaginées, signe d’un autre monde où la différence ne sépare pas mais réunit.
A la mairie, ce repas partagé entre Français et étrangers est signe d’un autre monde possible, un monde où chacun, quelle que soit son origine, se sent accueilli et invité à prendre une place.
Dans un lieu public comme la mairie, où l’on vient d’habitude pour faire des démarches administratives, le « Goût de l’Autre » est consécration d’un vivre-ensemble qui n’est pas régulé par des papiers mais qui donne du goût à la vie de chacun.
Ainsi, la rencontre évoque en ce qu’elle renvoie à ce que chacun a de plus précieux en soi. Et la rencontre provoque en ce qu’elle pousse ailleurs, vers un nouveau possible.
Si la rencontre évoque et provoque à la fois c’est qu’il importe, aujourd’hui plus que jamais, de voir l’autre non comme une menace mais comme une richesse.
Il importe de se rappeler que nous sommes tous enfants d’une même terre.
Il importe d’être simplement humains.
Le rejet, c’est la mort des autres, c’est la mort aux autres. Il importe d’être vivants.