Nadine Morano et les médias : un cas d’école ?

Jeudi 29 octobre en meeting à Béziers, Nadine Morano a expliqué que l'interdiction qui frapperait la France d'utiliser le mot "race" devait conduire à une suppression des subventions aux associations antiracistes. 

Conséquence: une phrase abondamment relayée par les médias.

Caractéristique: aucun militant ou responsable associatif ne fut amené à donner son avis qui, au-delà de la mise en exergue de l’infinie bêtise du propos, aurait pu évoquer le parallélisme sur ce point entre les discours du FN et de l’ancienne ministre ou le danger d’appeler en termes à peine voilés à la destruction du tissu associatif oeuvrant en faveur de l’égalité, ce qui n’est pas sans rapport avec la vivacité de la démocratie.

Les médias vont vite me direz-vous et la reprise sans contrepoint de la sortie de Nadine Morano n’est qu’un fait isolé dont aucune conséquence ne peut être tirée.

En fait, et les dernières semaines le montrent, il s’agit d’un maillon d’une longue chaîne. Pour le montrer, un petit retour sur l’actualité récente s’impose.

La désormais célèbre sortie de Nadine Morano réclamant pour elle-même et pour ses aficionados le droit de parler de « race blanche » et de dessiner comme une perspective traumatisante la transformation de notre pays en « France majoritairement musulmane » a déclenché une petite tempête médiatique il y a maintenant un mois.

Je dis bien « petite tempête » car, au regard de la radicalité du propos porté et de son insigne indécence, nous aurions pu nous attendre à ce que le traitement médiatique ne se contente pas, pour l’essentiel et en dehors des reportages dans les JT, de poser des questions incidentes aux invités qui se présentèrent sur les plateaux durant cette période. Nous aurions pu nous attendre à ce que les débats tournent autour de la pente violemment réactionnaire et de plus en plus ouvertement raciste empruntée par des responsables politiques ainsi que par des intellectuels qui énoncent avec des phrases articulées ce que Nadine Morano, privée de la grâce de la langue et de tout surmoi, est venue exprimer en formules suffisamment grossières pour qu’elles ne puissent être totalement passées sous silence.

Si des débats furent posés dans une partie de la presse écrite, la presse radio et télévisuelle les ignora superbement. Pire, et cela est à noter comme un signe des temps, la distribution de la parole fut à ce point spectaculairement « étrange » qu’il est utile d’en faire état.

Car peut-être aurez-vous remarqué que l’écrasante majorité des personnes qui furent amenées à commenter cette sortie – quelques rares exceptions empêchent de parler de la totalité – n’étaient pas des personnes concernées au premier plan par les propos. Car quelles étaient les personnes visées par les propos de Nadine Morano ? Vers qui son agressivité se déployait-elle ? Quelles catégories de la population souffrirent du fait d’être ainsi ciblées par des propos pourtant sans équivoque ? Les personnes nées ou issues du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne, ainsi que les populations ultramarines. Mais, sans que cela ne semble choquer outre mesure quiconque et certainement pas les responsables des médias concernés, ces catégories ne furent que marginalement – pour ne pas dire aucunement – interrogées.

Bien évidemment, d’aucuns répondront que le racisme concerne la République et que chacun peut se sentir, en tant que citoyen, directement touché par des propos qui hystérisent le débat public et qui ont pour fonction de faire basculer la France dans une vision ethnicisée et exclusiviste de l’accès à la légitimité citoyenne, sinon humaine. Ils auront raison. C’est d’ailleurs heureux et c’est ce qui fait que l’Humanité est belle.

Mais tout de même. Voici une responsable politique qui cible des populations et voici que ces dernières sont absentes des débats-croupions qui s’installèrent dans les jours qui suivirent. Si nous avions mauvais esprit, il faudrait comparer cet état de fait à un débat où l’on disserterait sur les violences conjugales sans qu’une seule femme ne soit présente sur le plateau. Certes, les hommes sont pleinement légitimes à parler de ce sujet. Mais on avouera que les femmes, dans un tel débat, peuvent apporter un témoignage de première main sur l’effet ressenti lorsqu’on se prend une beigne dans la tronche de la part de son conjoint.

En fait, en procédant ainsi avec un naturel assez désarmant et dans un climat d’anesthésie de l’indignation, les médias concernés installent une illégitimité : dans une France qui glisse vers la réaction, l’illégitimité des populations exclues par Nadine Morano de la pleine appartenance citoyenne à partager avec l’ensemble des Français l’expérience des propos d’exclusion prononcés par la députée européenne. La France glisse ainsi vers la revendication de l’exclusion de populations que le fonctionnement médiatique contribue à transformer en fantômes privés de l’accès à la parole. Le processus n’est évidemment pas sans conséquence. Car la colère de cette privation est une cause de désaffiliation dont un esprit mal tourné pourrait se demander si elle ne fait pas partie des effets recherchés afin de justifier – même sans mots – ladite privation. Car cette privation transforme progressivement les populations visées explicitement en une catégorie d’autant plus fantasmée sur le mode négatif – et donc appelées à l’inéluctabilité d’une stigmatisation croissante – que le fantasme ne peut jamais venir se fracasser sur des figures réelles, incarnées, complexes et subtiles.

L’émission « On n’est pas couché », où naquit le monstre discursif enfanté par Nadine Morano, vint d’ailleurs clore avec une extraordinaire superbe cette séquence, sept jours plus tard. Un philosophe se présenta – c’est-à-dire fut invité – sur le plateau où il put complaisamment donner son avis sur la séquence qui venait de s’écouler. Ce philosophe, c’était Alain Finkielkraut, héraut d’une pensée réactionnaire qui ne prend même plus la peine de cacher sa malveillance, pas plus que sa mauvaise foi.

Fermez le ban.

Par Dominique SOPOlarrybird-2
Président de SOS Racisme

Tribune publiée sur le Huffington Post

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