Dans le contexte des attentats, la parole raciste se libère

SOS Racisme s'inquiète de la multiplication des propos racistes. Une conséquence des attaques terroristes, selon l'association.

Par Timothée Boutry
Le Parisien

C’est un poste d’observation qui permet d’obtenir un baromètre assez fidèle des tensions du pays. Et le panorama qu’il offre ces jours-ci n’est pas très réjouissant. Traditionnellement peu sollicitée l’été, la permanence juridique de SOS Racisme tourne à plein régime. « Le contexte des attentats a libéré la parole et les actes racistes, constate Marina Belliard, la responsable du contentieux. La France s’enfonce dans un climat délétère, la population se divise, exactement comme le souhaitent les terroristes. »

En poste depuis deux ans, Marina Belliard n’avait jamais connu une période si sensible où les propos racistes, visant surtout les musulmans, s’expriment aussi ouvertement. Deux exemples récents,- le cas d’une stagiaire, celui d’un vacancier (lire encadré) -, le prouvent. « Les victimes ne doivent pas hésiter à porter plainte, insiste la juriste. Nos équipes sont à leur disposition pour les accompagner. »

Selon les chiffres dévoilés mi-janvier par la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, qui agrège les faits déclarés par les victimes, les actes antimusulmans ont bondi de 223 % entre 2014 et 2015, qu’il s’agisse des menaces (+ 291 %) ou des actions effectivement commises (+ 125 %).

« L’organisation Etat islamique cherche à déstabiliser notre société de l’intérieur. Il faut bien comprendre que chaque acte de racisme est une validation de la stratégie de Daech, insiste Dominique Sopo, président de SOS Racisme. Ils ont conscience que nous sommes dans un pays traversé par des tensions et des failles internes. Ils mettent du sel dans nos plaies. Et plus on va activer ces plaies par des actes de racisme, plus on se signale comme une cible à frapper. » Et de conclure : « Toutes les formes de racisme et de discrimination qui se manifestent depuis l’attentat de Nice et l’assassinat du prêtre de Saint-Etienne-du-Rouvray ne sont pas le fait de néoracistes mais de personnes qui avaient déjà ces opinions et qui se sentent libres de les exprimer. »

Rachid*, victime de discrimination : «Il ne faut plus se taire»

Des vacances en famille, une location idéale à Port-Barcarès (Pyrénées-Orientales) dénichée sur Leboncoin.fr et un propriétaire de prime abord particulièrement détendu. Pour Rachid* et ses proches, cette semaine d’août au bord de l’eau s’annonçait des plus agréables. « Tout se passait bien jusqu’à l’envoi de mon dossier pour la finalisation du contrat, explique ce Francilien de 24 ans. Je reçois alors un appel du propriétaire qui, d’emblée, me dit : T’es arabe ? Je lui réponds en rigolant que je suis breton et musulman, mais, tout de suite, j’ai le réflexe d’enregistrer l’appel parce que je sais que ça va péter. » Malheureusement, Rachid ne sera pas déçu, comme le prouve la conversation que nous avons pu écouter.

A l’autre bout du fil, le propriétaire explique qu’il a eu « des problèmes avec les musulmans » l’année précédente qui ont, semble-t-il, laissé une ardoise. « Je préfère ne pas vous louer », assène-t-il. Très calmement, Rachid tente d’expliquer à son interlocuteur qu’aucun amalgame ne mérite d’être fait entre les attentats et les musulmans en général.

Effaré, Rachid invoque ses enfants. Il ne sait comment il va pouvoir leur expliquer un refus de location à cause de leur origine. « Vous allez dire aux Français qui ont perdu leurs enfants au Bataclan, à Nice que c’est pas des musulmans qui ont commis ces meurtres ? » s’emporte le propriétaire de plus en plus exalté avant d’évoquer l’assassinat du prêtre de Saint-Etienne-du-Rouvray. Sans perdre son sang-froid, Rachid insiste : « Je suis musulman et je condamne tout autant que vous et j’ai la haine de tous ces actes abominables. »

Peine perdue. Le propriétaire se lâche définitivement : « Il y a 90 % des musulmans en France qui sont des gens corrects, mais il y en a quand même 10 % qui sont des assassins qui continuent à faire ch… les Français et qui nous emm… Et moi ils m’ont emm… l’année dernière. […] J’ai décidé de ne pas vous louer et de ne pas louer à des musulmans. »

Une semaine après cet échange, Rachid reste abasourdi par sa violence. Et par l’aisance avec laquelle le propriétaire a assumé le motif de son refus… Afin que son exemple serve à d’autres, Rachid a lui aussi porté plainte pour « discrimination raciale au logement par refus de location » avec le soutien de SOS Racisme. Un délit dont l’auteur encourt jusqu’à trois ans de prison et 45 000 € d’amende. « Face aux remarques qui se multiplient depuis les attentats, il ne faut plus se taire et avoir honte », insiste-t-il.

 

* Le prénom a été changé.